Une rencontre inédite pour l’avenir des agricultures ultramarines
Événement27 novembre 2023
Dans l’objectif de co-construire sa feuille de route (2024-2029) pour les agricultures ultramarines, le Cirad réunit à Montpellier les 27 et 28 novembre une trentaine de ses partenaires de l’outre-mer, représentants des Régions Guadeloupe, Réunion, des collectivités de Martinique, Guyane, du département de Mayotte, de l’Etat* et d’institutions partenaires**. L’occasion de mettre en avant l’expertise développée au sein de ces cinq territoires d’outre-mer aux avant-postes de défis aussi bien agricoles qu’environnementaux.
« L’outre-mer est à l’avant-garde d’enjeux d’actualité qui nous concernent toutes et tous : souveraineté alimentaire, atténuation et adaptation au changement climatique, préservation de la biodiversité et de la santé dans une démarche One Health, mais aussi réduction des pesticides, grâce à l’agroécologie. Sur tous ces sujets, le Cirad accompagne les territoires ultramarins depuis de nombreuses années avec des résultats qui nous confortent dans nos choix et nous poussent à aller encore plus loin dans les grandes transitions qui s’imposent », a déclaré Elisabeth Claverie de Saint Martin, PDG du Cirad, à l’ouverture de ces rencontres.
Nous rassemblons aujourd’hui nos partenaires ultramarins, collectivités, services de l’Etat et représentants de quatre ministères*, de l’Agence Française de Développement, de l’Odeadom, de l’Acta, des Chambres d’agriculture de France, pour faire le point sur notre partenariat, nos expériences réussies, recueillir les nouvelles attentes et co-construire la feuille de route d’une recherche qui répond aux enjeux d’une agriculture qui préserve son environnement.
Elisabeth Claverie de Saint Martin
PDG du Cirad
La feuille de route, dont la construction démarre à travers cette rencontre, sera dévoilée au Salon international de l’agriculture 2024.
Cette rencontre inédite se déroule sur deux jours : • Le lundi 27 novembre, sur les enjeux et défis des agricultures ultramarines, en donnant la parole aux territoires sous forme de tables rondes et ateliers d’expression collective. Cette journée s'est terminée avec la signature du contrat d’objectifs, de moyens et de performance du Cirad avec la Région Réunion (cf accord-cadre) • Le mardi 28 novembre est consacré à des visites des infrastructures du Cirad à Montpellier sur les thématiques de l’agroécologie et de l’adaptation au changement climatique (campus de Baillarguet), de la souveraineté alimentaire et de la transition énergétique (campus de Lavalette).
1- Viser la souveraineté alimentaire d’ici 2030
Alors que les territoires d’outre-mer dépendent encore des importations d’aliments, que la crise de l’eau touche certains départements, quelle souveraineté envisager pour les territoires ultramarins et nourrir ses 2,2 millions habitants ?
En Guyane et à Mayotte, près de 85 % des besoins en matière de fruits et légumes est satisfaite, contre presque 70 % à la Réunion, environ 40-45 % en Guadeloupe et en Martinique. Dans le domaine animal, la Guyane et la Réunion ont les élevages bovins les plus développés (20 % des besoins couverts), et la Réunion arrive en tête avec la production de volaille de chair qui couvre 35 % des besoins (Agreste, la statistique agricole). Au total, on compte plus de 26 500 exploitations, dont une centaine en bio aux Antilles-Guyane et plus de 350 à La Réunion.
L’autosuffisance est-elle atteignable sur ces territoires soumis à de fortes contraintes, très dépendants des intrants agricoles ?
Vingt-trois leviers pour améliorer l’autosuffisance alimentaire des départements d’Outre-mer sont identifiés dans une étude, coordonnée par le Cirad et présentée au Salon international de l’agriculture.
Est-il possible de produire plus localement en respectant santé de l’environnement et des populations ?
C’est l’objectif de l’ensemble des collectivités et du plan autonomie alimentaire 2030 dans les DROM.
Une de nos priorités est la stratégie d’autonomie alimentaire par l’agroécologie, votée par la CTM.
Nicaise Montrose
Conseiller exécutif en charge du développement économique, attractivité, agriculture, alimentation, numérique, participation citoyenne, Collectivité territoriale de Martinique
En Martinique ou à la Réunion, des expériences d’approvisionnement local et bio des cantines scolaires se développent par ailleurs dans le cadre des Plans Alimentaires Territoriaux, avec l'appui du Cirad.
2- Protéger et valoriser une biodiversité exceptionnelle
L’Outre-mer abrite 80 % de la biodiversité française, dont 4 espèces endémiques sur 5 des territoires français. La forêt amazonienne, par exemple, recouvre 96 % du territoire guyanais.
Il contribue aussi à inventorier la diversité biologique et à conserver la biodiversité cultivée à travers de nombreuses collections de plantes comestibles regroupées au sein de Centres de ressources biologiques. Ces collections permettent de retrouver des variétés utilisées par le passé ou d'en créer de nouvelles, résistantes ou tolérantes à certaines maladies. La connaissance de cette diversité facilite également la reconnaissance de races animales locales comme par exemple à la Réunion ou à Mayotte. Une biodiversité valorisable également à travers une cosmétopée remarquable.
C’est dans cet écrin de biodiversité qu’est le terreau fertile de l’agroécologie… Que ce soit en Guyane ou aux Antilles, l’agroforesterie, qui consiste à associer des arbres aux cultures, se développe, et plus récemment à Mayotte. En Guyane et à la Réunion, on cultive le cacaoyer sous des arbres, comme dans son lieu d’origine, et en Guadeloupe, les bananiers sont associés depuis peu à des fruitiers comme les agrumes. Les planteurs ont aussi expérimenté, avec les chercheurs, l’introduction de moutons pour contrôler l’enherbement des bananeraies dans le cadre du projet Territoires durables, qui vient de s’achever.
Ces expériences récentes font suite à plus d'une dizaine d'années de transition agroécologique de la filière banane aux Antilles (dans le cadre des plans Banane durable), qui s’est traduit par une forte baisse de l’usage des pesticides, en particulier des insecticides et nématicides.
La banane française, produite aux Antilles, est le fruit d’une histoire longue, semée d’embuches, que le Cirad a accompagnée au fil des années. Quarante années qui ont révolutionné la culture de la banane et permis le retour de la biodiversité dans les bananeraies.
Des expérimentations à grande échelle sont désormais aussi en cours dans le domaine du maraîchage en Martinique pour réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques, dans le cadre du projet Ecophyto pumat.
Nous souhaitons revenir à une agriculture territoriale, sur des petites surfaces, pour nourrir notre population avec des cultures maraîchères et vivrières, peu gourmandes en eau.
Patrick Dollin
Président de la Commission économie verte, Région Guadeloupe
A la Réunion, des essais pilotes, menés en collaboration avec le Cirad, l’Armeflhor et le lycée agricole de Saint Paul dans le cadre du projet STOP, montrent aussi que la réduction des pesticides est possible, grâce à des pratiques d’agroécologie, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour changer d’échelle. Les essais de biocontrôle prennent de l'ampleur aussi à la Réunion et dans l’océan Indien et ont donné lieu à un dispositif en partenariat sur cette thématique.
A Mayotte, des filets anti-insectes permettent déjà de se passer de certains insecticides.
Nous désirons accentuer la résilience de nos agrosystèmes autour du jardin mahorais. Intensifier notre production de manière agroécologique, mieux former nos agriculteurs à la connaissance de leurs sols.
Moustoifa Abdou
directeur adjoint des ressources terrestres et maritimes, Direction des Ressources Terrestres et Maritimes de Mayotte
4- Une seule santé : des réseaux pionniers
L’ensemble de ces projets s’inscrit dans une démarche de santé des territoires, dans le cadre plus global des approches « Une seule santé » regroupant santés des écosystèmes, des plantes, des animaux et des humains.
C’est en outre-mer depuis plus de 15 ans que le Cirad, avec ses partenaires, a lancé des réseaux pionniers dans ce domaine.
Détecter rapidement les maladies qui émergent chez l’animal et peuvent être transmises à l’être humain, pour agir vite en local et alerter plus largement. Tel est l’objectif du réseau CaribVET et du dispositif de recherche One Health OI cofondés par le Cirad. Associant vétérinaires, chercheurs et autres acteurs de la santé, ils préviennent l’entrée de maladies animales sur des territoires insulaires et les contrôlent, appliquant le concept « une seule santé » (« One Health »). Retour sur l’impact de ces réseaux, après plus d’une décennie d’existence.
Des approches qui prennent aujourd’hui tout leur sens avec l’émergence de zoonoses partout dans le monde, la généralisation de l’antibiorésistance et de maladies transmises par des vecteurs comme les moustiques ou les tiques. Dans les territoires insulaires de l’océan Indien et des Caraïbes, la gestion de ces maladies s’est organisée depuis de nombreuses années, avec les premières crises sanitaires : en santé animale ou en santé humaine avec la dengue, le Chikungunya ou le Zika, ou encore en santé végétale avec le citrus greening (HLB), les mouches des fruits ou encore la menace de la fusariose.
Avec la mondialisation mais aussi le changement climatique, les espèces migrent et trouvent de nouvelles niches écologiques dans des climats auparavant peu propices, comme le Sud de la France.
5- Changement climatique : capter le carbone dans les sols
Pour lutter contre ce réchauffement global, l’agriculture, les prairies et les forêts sont des leviers importants de captation de carbone, tel que l’a montré l’étude 4 pour 1000 outre-mer.
Coordonnée par le Cirad en partenariat avec INRAE et l’IRD, l’étude « 4 pour 1000 » Outre-mer dresse un bilan inédit des stocks de carbone du sol des territoires ultramarins. Les auteurs formulent des recommandations opérationnelles et de recherche pour préserver ces stocks élevés et répondre aux grands enjeux de l’agriculture face au changement climatique au niveau national et territorial.
L’agroécologie et l’agroforesterie, telles que décrites plus haut, sont autant des voies d’atténuation que d’adaptation au changement climatique. Les régions d’outre-mer, qui connaissent des épisodes climatiques violents, comme les cyclones, seront de plus en plus touchées, avec comme principale victime si elle ne s’adapte pas : l’agriculture.
Comment va-t-on s’adapter ? C’est là que nous avons besoin de la recherche scientifique. Nous souhaitons amener la petite agriculture à se développer, concilier protection de l’environnement et production agricole.
Roger Aron
Vice-président chargé de l’agriculture, de la pêche et de la souveraineté alimentaire, Collectivité territoriale de Guyane
6- Les RITA : un réseau au service de l'innovation agricole
Co-animé pendant 10 ans par le Cirad et l'Acta, les Réseaux d'innovation et de transfert agricole entrent aujourd'hui dans une troisième phase d’existence qui associe désormais les chambres d’agricultures en tête de réseau. Leur objectif : faciliter l'appropriation des innovations agricoles par les productrices et producteurs des outre-mer.
C’est l’un des rares outils d’échange entre les différents territoires d’outre-mer. Depuis plus de 10 ans, les réseaux d’innovation et de transfert agricole créés à l’initiative du Ministère de l’Agriculture, des Collectivités territoriales, du Cirad et de l’Acta ont réussi à impulser une dynamique de collaborations inter-institutionnelle au service du monde agricole et de la transition agroécologique. Dans 8 territoires ultramarins, ils impliquent 150 structures autour d’une vingtaine de thématiques, grâce à l’implication des acteurs de la R&D des DROM-TOM. Bilan à l’occasion des 10 ans d’existence opérationnelle de ces réseaux et au démarrage d’une troisième phase d’existence qui associe désormais les chambres d’agricultures.
Il nous faut reconquérir des terres agricoles pour mener de front production cannière et vivrière, dans le cadre de notre schéma d’aménagement du territoire.
Jean-Pierre Chabriat
Conseiller régional en charge de l'enseignement supérieur, de la recherche et de la transition énergétique, Région Réunion
*Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ; Ministère des Outre-mer ; Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation ; Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères **Agence Française de Développement ; Odeadom ; Association de Coordination Technique Agricole (ACTA) ; Chambres d’agriculture de France.
Le Cirad en outre-mer, c’est : 25 % des effectifs du Cirad 20 % du budget du Cirad Des infrastructures uniques, tels que le site forestier de Paracou en Guyane, le Centre de veille sur les maladies émergentes en Guadeloupe, le pôle de protection des plantes et le Soere-pro à la Réunion.