La COP28 se déroulera du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï, aux Émirats Arabes Unis. L’heure du bilan des Accords de Paris a sonné. Si les politiques actuelles se poursuivent, le monde s’engage sur la voie d’un réchauffement de +3°C d’ici la fin du siècle, alerte l’ONU. Peut-on encore inverser la tendance comme le GIEC l’espérait encore en mars à la parution de son 6e rapport de synthèse ? Pour le Cirad, il est urgent d’amorcer la transformation des systèmes agricoles et alimentaires pour atteindre la neutralité carbone.
Le Cirad sera bien présent à la COP28 comme chaque année depuis la COP21. Six de ses scientifiques animeront ou participeront à des événements parallèles pour faire passer des messages sur le rôle clé des sols, des forêts, des systèmes agricoles et d’élevage, et de la démarche One Health, pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Si ces systèmes agricoles et alimentaires nécessitent d’être transformés, ils seront également fortement impactés par les effets du changement climatique, tout comme les systèmes de santé. Adaptation et atténuation doivent donc s’envisager en synergie.
C’est la première fois que la thématique de la santé est abordée dans une COP Climat. Santé, climat et biodiversité en effet sont des sujets intimement liés, qui doivent être traités ensemble, dans une approche One Health.
Thierry Lefrançois
spécialiste des questions « Une seule santé » à la direction du Cirad
>> Dès dimanche 3 décembre, un événement parallèle, organisé par l’initiative PREZODE, aura ainsi lieu au Pavillon France, sur la thématique la santé et de l’adaptation au changement climatique.
Selon le dernier rapport du GIEC « sur les terres », le secteur AFOLU (agriculture, foresterie et autres usages des terres) est à l‘origine de 23 % du total net des émissions anthropiques de GES, qui se répartissent principalement entre les émissions directes de GES imputables à la production agricole (12 %) et à la déforestation (9 %). Si les émissions associées aux activités de pré- et de post-production dans le système alimentaire mondial sont incluses, ces estimations sont comprises entre 20 à 37 % du total net des émissions anthropiques de GES.
Près d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont à imputer à nos systèmes agricoles et alimentaires. Lors de la COP28 à Dubaï, une partie des négociations portera sur les voies possibles de transformation du secteur. Production agricole plus durable, adaptation des régimes alimentaires, réduction des pertes et gaspillages : où se situent les marges d’amélioration et où doit-on concentrer les efforts ?
Réduire de 75 % les émissions des activités agricoles
L’agriculture peut être source de solutions. Le secteur des terres constitue un levier incontournable pour le développement de stratégies d‘atténuation des GES en séquestrant 29 % des émissions totales de gaz à effet de serre. Les activités agricoles dans leur ensemble possèdent, en outre, un potentiel très élevé de réduction de leurs propres émissions (75 %) par des pratiques appropriées, notamment la réduction de l’utilisation d’intrants de synthèse, la mise en place de pratiques agroécologiques, ainsi qu‘une capacité à stocker du carbone dans le sol et dans la biomasse (végétaux, organismes vivants du sol,…).
Il est là, sous nos pieds : le sol. On le regarde à peine, pourtant c’est sous la terre que sont stockées les plus grandes quantités de carbone des écosystèmes terrestres. Les sols peuvent jouer un rôle substantiel pour réduire les concentrations de gaz à effets de serre dans l’atmosphère. Via la préservation des stocks importants de carbone souterrain, d’une part, mais aussi par la restauration des terres dégradées notamment grâce à certaines pratiques agricoles, qui permettent de piéger davantage de carbone sous la terre, voici comment.
Favoriser la santé des sols pour capter du carbone
Une étude publiée le 22 juin dans Nature Communications synthétise 230 méta-analyses portant sur les effets de l’usage des terres, des pratiques agricoles et du changement climatique sur le carbone organique du sol. Sur la base de plus de 25 000 expérimentations, elle identifie des pratiques agricoles efficaces de gestion des terres pour restaurer le carbone des sols, telles que l’agroforesterie et l'utilisation d’amendements organiques. Les effets du changement climatique constituent une menace potentielle pour le maintien du carbone des sols à grande échelle.
Selon les scientifiques, le concept de santé des sols est clé dans la transformation des systèmes alimentaires pour contribuer à l’atteinte de l’objectif de zéro émission nette de CO2 d’ici 2050.
Des experts et expertes du Cirad, de l’IRD et de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 » rappellent l’importance capitale de sols sains pour que les systèmes alimentaires atteignent l’ambition zéro émission nette de CO2. A quelques jours du démarrage de la COP 28, ils formulent plusieurs recommandations dans une note d’orientation à l’attention des décisionnaires.
>> Les scientifiques présenteront leurs résultats sur les sols, leur santé et le stockage de carbone lors plusieurs événements parallèles sur les Pavillons UNCCD (United Nations Convention to Combat Desertification), France et Francophonie, les 5, 8 et 10 décembre.
Coordonnée par le Cirad en partenariat avec INRAE et l’IRD, l’étude « 4 pour 1000 » Outre-mer dresse un bilan inédit des stocks de carbone du sol des territoires ultramarins. Les auteurs formulent des recommandations opérationnelles et de recherche pour préserver ces stocks élevés et répondre aux grands enjeux de l’agriculture face au changement climatique au niveau national et territorial.
Miser sur l’agroforesterie et la préservation des couverts forestiers existants
« Plusieurs études récentes ont mis en exergue le rôle clé des forêts et des agro-forêts dans la captation de carbone », rappelle Alain Billand, expert forestier à la direction du Cirad. Les chercheurs préconisent des mesures incitatives fléchées vers les agriculteurs pour accélérer l’adoption de l'agroforesterie.
Alors que les pays du monde entier s'efforcent de réduire leurs émissions de carbone, une nouvelle étude scientifique publiée dans Nature Climate Change souligne le potentiel inexploité de l'agroforesterie dans la lutte contre le changement climatique et propose des pistes pour y remédier. Cette étude a été conduite par un groupe d’experts internationaux, coordonné par The Nature Conservancy (TNC), avec la participation du Cirad.
Couplé à un effort de réduction massif des émissions de GES, la régénération naturelle des forêts pourrait, en plus, capturer environ 226 gigatonnes (Gt) de carbone.
Une nouvelle étude, issue des travaux du réseau international Global Forest Biodiversity Initiative (GFBI), auquel le Cirad appartient, estime que la régénération naturelle des forêts pourrait capturer environ 226 gigatonnes (Gt) de carbone, à condition de réduire les émissions de gaz à effet de serre mondiale. Ces résultats viennent d’être publiés dans Nature.
« L'intérêt croissant pour la restauration des forêts tropicales augmente les possibilités de promouvoir la gestion des forêts secondaires et dégradées, les systèmes agroforestiers et les plantations mixtes avec des espèces indigènes pour la production de bois par exemple. La foresterie communautaire pourrait contribuer de manière significative à l'augmentation de la superficie des forêts de production tout en promouvant la conservation de vastes zones de forêts anciennes dans les concessions forestières communautaires. »
L’élevage peut aussi être neutre en carbone !
Dans le secteur de l’élevage, l’augmentation de la demande mondiale de viande a eu un impact important sur l’augmentation des émissions mondiales de GES de ce secteur qui contribue à 14,5 % des émissions de GES anthropiques. Plus de 70 % de ces émissions sont dues aux ruminants (du fait des émissions de méthane), mais les systèmes d’élevage à l‘herbe ne seraient responsables « que » de 20 % des émissions totales de l’élevage tout en présentant un important potentiel d‘atténuation par le stockage de carbone dans le sol.
La communauté internationale doit se donner les moyens de mieux quantifier l’impact environnemental réel des systèmes d’élevages agropastoraux, afin d’établir des politiques de réduction de GES plus justes.
A l’heure où l’élevage est souvent pointé du doigt comme une source importante de gaz à effets de serre parmi les activités agricoles, il peut dans certains contextes contribuer indirectement à l’atténuation du changement climatique. Des chercheurs du Cirad ont montré que certains territoires pastoraux, au Sahel, présentent un bilan carbone négatif. Des données surprenantes qui pourraient favoriser une implication plus importante des Etats dans ces territoires et ainsi contribuer à leurs développement et stabilisation.
>> Les chercheurs présenteront leurs résultats sur les bilans carbone des systèmes d’élevage pastoraux et agropastoraux au Sahel lors d’un événement parallèle le 9 décembre au Pavillon du Comité permanent Inter-Etat de lutte contre la sécheresse dans le Sahel.
Accentuer l'investissement pour soutenir la transformation du secteur agricole
Au-delà d‘une comptabilité carbone simplifiée, il est indispensable d‘intégrer dans l’évaluation du secteur agricole et alimentaire sa contribution à la réduction de la pauvreté et à la sécurité alimentaire.
Marie Hrabanski
chercheuse en sociologie politique au Cirad
Les agriculteurs et agricultrices familiaux produisent un tiers de la nourriture mondiale et seulement 0,3 % du financement internationalde la luttecontre le changement climatique leur est destiné, selon une récente étude de Climate Focus.
Actuellement, moins de 2 % de la finance climatique est attribué au secteur agricole. C’est insuffisant pour porter la transformation de ce secteur.
Vincent Blanfort
spécialiste des bilans carbone et chargé de mission changement climatique au Cirad
Le Cirad et les COP Climat Le Cirad suit activement les négociations menées dans le cadre de la conférence des Parties sur le Climat de l'ONU depuis la COP21, où l’Accord de Paris a été signé. A ce titre, il est membre du Groupe interministériel pour la sécurité alimentaire « Climat » et participe aux COP Climat avec un statut d’observateur. Il est également régulièrement mobilisé pour des relectures comme ce fut le cas pour le rapport du GIEC ou des contributions directes auprès du groupe de travail de Koronivia en lien avec ses partenaires du Nord et du Sud. Les négociations du programme de Koronivia sur l’agriculture se sont clôturées à la COP27 (lire le bilan de la COP27). Les discussions sont prolongées sous la forme d’un programme de 4 ans pour la mise en place de l’action climatique en agriculture et pour la sécurité alimentaire.
Les sols sous les effets du changement climatique : perspectives géopolitiques, options d’atténuation et d’adaptation Par Julien Demenois, chargé de mission « 4 pour 1000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat » au Cirad
Les dynamiques de la déforestation mondiale Par Alain Karsenty, économiste au Cirad
L’action climatique pour l’agriculture et la sécurité alimentaire : des avancées malgré les tensions Nord-Sud Par Marie Hrabanski, chercheuse en sociologie politique au Cirad