Soixante-quinze pour cent des maladies infectieuses émergentes chez l’humain proviennent des animaux. C’est pourquoi les approches intégrées de la santé, dites « One Health », prennent en compte l’interdépendance de la santé des écosystèmes, des plantes, des animaux et des êtres humains. Ces approches sont fondées sur les collaborations entre disciplines scientifiques et secteurs d’activités et favorisent l’intégration des connaissances entre plusieurs échelles : du local, en impliquant les populations, au national, en impliquant les médecins, services vétérinaires, écologues, agriculteurs et éleveurs, parcs nationaux, agences de santé publique, etc. L’importance de ces approches dans la recherche et la surveillance épidémiologique est d’autant plus cruciale dans des contextes insulaires vulnérables. De nombreux exemples en attestent, à l’instar de celui du moustique tigre, Aedes albopictus, transporté par des pneus en provenance d’Asie du Sud-Est et vecteur de l’épidémie de Chinkungunya, en 2006, dans l’océan Indien.
Travaillant main dans la main avec les acteurs de terrain, et cherchant à les faire dialoguer avec leurs voisins, le Cirad a ainsi contribué à la création de deux réseaux de santé majeurs : CaribVET, animé depuis la Guadeloupe et One Health océan Indien, depuis La Réunion. Grâce à leur structuration depuis près de 15 ans et à l’engagement massif de leurs membres, ces dispositifs ont su faire du concept One Health une stratégie opérationnelle sur le terrain.
Vétérinaires, chercheurs, médecins : travailler et décider ensemble
Les décisions au sein de CaribVET sont prises par un comité de pilotage composé de 48 membres : chefs des services vétérinaires de 34 pays et territoires, représentants des universités et centres de recherche en agriculture dans la région ainsi que des agences internationales, (OIE, FAO, OMS, etc.). Après chaque réunion de gouvernance, ces décisions sont transmises aux autorités des États membres, afin de recommander la mise en place de mesures de prévention ou de contrôle aux frontières. Le comité supervise également les activités de recherche scientifique, conduites au sein de groupes de travail ou de projets partenaires.
Le dispositif One Health OI (pour « océan Indien ») rassemble les services vétérinaires et de santé humaine des cinq pays de la Commission de l’océan Indien, des centres de recherche comme l’Institut Pasteur de Madagascar (IPM), le Centre national de recherche appliquée au développement rural (Fofifa)) ou l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, la pêche et l’environnement (Inrape), le centre d’infectiologie Charles Mérieux, le CHU et l’Université de la Réunion. Il traite les questions de recherche prioritaires pour les gestionnaires de santé, appuyant ainsi le réseau opérationnel SEGA One Health dédié à la surveillance et à la riposte contre les maladies infectieuses humaines et animales. Cinq groupes de travail (surveillance, analyse de risques, résistance, contrôle, formation) structurent les activités de recherche.
Les deux plateformes ont montré toute la force de leur organisation et leadership, ainsi que leur capacité à travailler efficacement en partenariats régionaux, y compris en situation de crise (sanitaire, catastrophes naturelles).
Aujourd’hui à Madagascar, le métier de vétérinaire est encore largement méconnu et les activités liées à la santé animale sous-financées. Preuve en est l’aide humanitaire qui se focalise sur les maladies humaines. Pourtant, si l’on veut éradiquer la rage, par exemple, il faudrait travailler sur les populations canine et féline, plus que sur les humains. Nous collaborons de plus en plus avec l’Institut Pasteur de Madagascar et cela va dans le bon sens. Avec l’approche « One Health », les autorités comprennent que les services vétérinaires et de la santé humaine doivent travailler ensemble. Mon rôle est donc de convaincre les décideurs malgaches d’appliquer les résultats des études que l’on mène dans le réseau.
Vincent Michel Rakotoharinome
Chargé d’études épidémiologiques au sein de la direction des services vétérinaires de Madagascar
Renforcer les capacités de surveillance et de diagnostic des pays
Depuis le diagnostic de la maladie jusqu’au recouvrement du statut indemne auprès de l’OIE, en passant par la gestion des foyers épidémiques avec abattage, l’arrêt de la circulation des animaux et des hommes, la vaccination en anneau et le suivi de l’immunité des troupeaux : les deux réseaux de santé ont contribué à mettre en place une gestion intégrée des épidémies. Un travail de longue haleine pour leurs membres, qui ont obtenu que les autorités des territoires représentés prennent des décisions sur la base de leurs recommandations. En ayant réussi à changer les pratiques collaboratives au niveau supranational pour une meilleure gestion intégrée de la santé, ces réseaux sont aujourd’hui reconnus comme deux plateformes incontournables pour coordonner, sans duplication, les programmes en santé animale et en santé publique vétérinaire.
Les formations organisées par les réseaux ont permis de renforcer les capacités locales de surveillance et de diagnostic. Depuis 10 ans, des centaines de techniciens de laboratoire de la Caraïbe ont ainsi été formés et certifiés pour conditionner et expédier des échantillons aux laboratoires de référence, conformément à la réglementation de l'Association du transport aérien international (IATA).
L’impact et la portée des activités transfrontalières de CaribVET est l’un de ses atouts majeurs. Les États de la région manquent en effet de ressources pour coordonner les programmes de surveillance zoosanitaire en dehors de leurs frontières. Le réseau a beaucoup amélioré le niveau de communication et de confiance entre les services vétérinaires nationaux. Sans ce dernier, il serait aujourd’hui beaucoup plus difficile de mettre en place n’importe quelle initiative transfrontalière en matière de santé animale. Face à la difficulté d’obtenir des ressources stables ou aux contraintes logistiques générées actuellement par la Covid-19, CaribVET a toujours réussi à maintenir un bon niveau d’interactions et d’activités. Le réseau incarne parfaitement l’approche One Health. Rassembler et faire collaborer des professionnels compétents est en effet essentiel pour le succès des projets en santé végétale, animale et humaine.
Mario Ambrosino
Ancien attaché pour la Caraïbe du service d’inspection zoosanitaire et phytosanitaire de du département américain d’agriculture (USDA)
Anticiper puis agir en situation de crise
Les différentes actions coordonnées par CaribVET sur l’influenza aviaire ont contribué à éviter l’entrée de la maladie dans les Caraïbes, alors que le virus causait une flambée épizootique historique aux États-Unis en 2015-2016. Très vite, des mesures de renforcement de la biosécurité dans les élevages et de vigilance aux frontières ont été prises. Les activités du réseau et des projets se sont réorientées vers l’influenza aviaire, utilisant les ressources existantes (environ 850 000 USD, 715 000 euros) pour la cartographie des risques, les plans d’urgence, le diagnostic, la communication du risque. Un guide de surveillance a été fourni aux pays pour développer leurs propres plans et des checklists aux fermiers pour protéger leurs volailles. Cette stratégie a ensuite été évaluée pour identifier et intégrer des axes d’amélioration au travail du réseau.
Le réseau One Health OI a notamment appuyé le contrôle des épizooties de fièvre aphteuse déclarées à Rodrigues-Maurice puis aux Comores, toujours en lien avec le réseau opérationnel SEGA_OH porté par la Commission de l’océan Indien et financé par l’AFD. Le dispositif a également joué un rôle clé dans la gestion de la fièvre de la vallée du Rift à Mayotte en 2019. Une panoplie d’outils a été élaborée, dont un test de diagnostic rapide pour la maladie. Les recherches produites par le réseau sur ces maladies ont été utilisées par les gestionnaires de la santé des pays membres.
Mise en place de postes de quarantaine communs, formations à la biosécurité ou au leadership, renforcement de la recherche collaborative … Les projets de CaribVET et de One Health OI ne manquent pas. Pour l’heure, après plus d’une décennie d’un travail colossal de coordination et de renforcement des liens de confiance entre les parties prenantes pour un partage d’information plus efficace, les réseaux ont contribué à renouveler la vision de la santé portée par les territoires, en y introduisant l’approche globale « une seule santé ».
Le réseau SEGA One Health océan Indien, né des menaces d’épidémies humaines dans la région (chikungunya, rougeole), a permis la mise en place de l’Unité de veille sanitaire de l’océan Indien, pour coordonner et appuyer les États membres dans la gestion des épidémies. Le réseau a apporté une valeur ajoutée énorme sur la façon de coordonner les actions communes, en matière de surveillance, de diagnostic, de prévention et de riposte. Cette plateforme est devenue un lieu d’échange par excellence pour l’ensemble des professionnels du système de santé, les institutions de recherche des États membres et des institutions de formations. La surveillance sanitaire et zoosanitaire étant au cœur des activités de recherche du réseau, cela permet de mieux maîtriser les épidémies.
Youssouf Ousseni Moutroifi
Chef des services vétérinaires au sein de la direction de l’Élevage des Comores et délégué des Comores auprès de l’OIE