La 28e COP (Conférence des parties) s’est terminée le 13 décembre au petit matin. Deux cents pays se sont accordés sur une transition hors des énergies fossiles. C’est une progression significative dans l’évolution de l’agenda climatique, puisque la réduction de recours aux énergies fossiles est un enjeu incontournable pour limiter la hausse des températures. Cet accord finalement inespéré dans un pays producteur de pétrole, reste cependant à concrétiser par des mises en œuvre concrètes, notamment par des financements à la hauteur des ambitions.
« Mais ce n’est pas le seul point notable de cette conférence, souligne Vincent Blanfort, chargé de mission changement climatique au Cirad. Les systèmes agricoles et alimentaires ont fait l’objet d’une déclaration où ils apparaissent comme des secteurs essentiels de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique. Le dernier rapport du Giec lui-même le met en avant. D’autant que ces secteurs mettent aussi en jeu des questions de sécurité alimentaire, de santé, de réduction de la pauvreté et d’économie rurale, et cela dans l’immense majorité des pays du monde ».
Les systèmes agricoles et alimentaires, sujets qui montent dans les COP…
Longtemps négligé des négociations climatiques, le poids des systèmes agricoles et alimentaires dans la crise, et les enjeux cruciaux qu’implique leur adaptation, s’imposent de plus en plus dans les discussions. Ces secteurs ont d’ailleurs fait l’objet d’une déclaration au début de la COP28. Une initiative lancée en marge des négociations et préparée depuis longtemps par la présidence émiratie de l’événement. 138 pays se sont engagés à inclure l’agriculture et l’alimentation dans leurs plans climat d’ici 2025. De même pour Marie Hrabanski, sociologue au Cirad et spécialiste des politiques climatiques, « cette déclaration est importante et louable, car elle va permettre de renforcer la place des systèmes agricoles et alimentaires dans les contributions déterminées au niveau national et dans les plans nationaux d’adaptation. Mais du côté du programme de travail au concret, c’est plus difficile d’avancer ».
Car si aujourd’hui la transition des systèmes alimentaires et agricoles fait consensus, il n’en va pas de même en ce qui concerne les chemins pour y parvenir. « Selon certains, les approches technologiques sont à privilégier en ne modifiant pas les systèmes productifs existants. Quand d’autres estiment que si des innovations techniques sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Pour eux, des approches plus holistiques doivent être promues afin d’atteindre la durabilité des systèmes alimentaires », commente la chercheuse.
… mais toujours au stade des discussions
Le 10 décembre était le jour de la COP28 consacré au thème « Alimentation, agriculture et eau ». La déclaration officielle « on sustainable agriculture, resilient food systems, and climate action » a été signée par 152 pays (sur les 197). Vincent Blanfort qui y était témoigne : « il y avait plus de 1 000 personnes, preuve que ces sujets sont bien rentrés dans les discussions. Plusieurs panels de haut niveau ont eu lieu avec notamment des ministres de divers pays ». Le scientifique a noté quelques informations d’intérêt :
- Sur les 83 milliards de dollars d’engagement total obtenus lors de cette COP, 1,3 concerne les systèmes agricoles et alimentaires. C’est à la fois significatif, mais encore insuffisant (1,5 %).
- Il a été rappelé qu’un milliard d’êtres humains auront des difficultés à se nourrir d’ici 2030.
- Une vision mondiale et partagée d’une transition des systèmes alimentaires a émergé au travers d’un agenda immédiat. Il devra se décliner régionalement à la COP29 et puis par une mise en place nationale dès la COP30. Cet agenda bénéficiera du soutien financier du FIDA, de la Banque mondiale et de la FAO pour mettre en œuvre des actions concrètes : 120 au total qui concernent notamment les pertes et gaspillages, l’élevage, la séquestration du carbone ou encore la restauration des écosystèmes. L’intégration de ces actions aux Contributions déterminées au niveau national et aux Plans nationaux climat est attendue.
- La secrétaire de l’Innovation, du Développement durable au ministère de l’Agriculture et de l’Élevage du Brésil a conclu cette déclaration sur l'agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l'action pour le climat. Pour Vincent Blanfort, « c’est un signe diplomatique important exprimant l’importance accordée à la future COP30 au Brésil ». Elle a notamment symboliquement souligné que dans le contexte actuel des choix vitaux étaient à faire : la guerre ou la paix, l’alimentation durable ou la faim. Elle a exprimé le souhait d’une contextualisation des transitions des systèmes alimentaires avec un calendrier précis en réaffirmant l’absolu nécessité d’avoir un cadre de coopération internationale sur les systèmes alimentaires.
Ce 10 décembre était aussi le jour choisi par la FAO pour présenter sa feuille de route pour l’agriculture de demain qui doit concilier sécurité alimentaire et lutte contre le réchauffement climatique. « Parmi les mesures mises en avant, la FAO suggère par exemple de renforcer les subventions publiques pour permettre l’accès à toutes les populations à des régimes sains, de réduire la consommation dans les pays riches ou encore de développer les outils d’agroécologie, précise Marie Hrabanski. L’organisation des Nations unies appelle chaque État à établir des plans d’action nationaux dans les deux prochaines années et sur dix grands domaines ». Rendez-vous est donc pris à la COP30 qui sera présidée par le Brésil.
Vincent Blanfort rappelle que « les décisions concernant les secteurs alimentaire et agricole sont complexes puisqu’elles relèvent de plusieurs domaines et ne concernent pas un organe de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ».
L’an dernier à la COP27, les États ont décidé d’un nouveau programme de travail sur la mise en œuvre de l’action climatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire (succédant au Travail conjoint de Koronivia sur l’agriculture). « Ce groupe a permis d’établir les bases de la déclaration officielle du 10 décembre. Par contre, il existe de nombreux blocages sur le contenu et la forme de ces travaux qui n’ont pu être levés lors de la COP28. Le G77 (qui rassemble 134 pays en développement et émergents) souhaiterait mettre en place un panel d’experts au sein de ce groupe de travail qui fluidifierait les interactions avec les autres instances de la COP pour faciliter l’identification des thèmes et actions prioritaires dans le cadre de l’agenda de la transition des systèmes alimentaires et de l’agriculture ».
Focus sur 4 thèmes phares portés par le Cirad à cette COP
La santé, pour la première fois dans une COP Climat
C’est la première fois que la thématique de la santé est abordée dans une COP Climat. Pour Thierry Lefrançois, spécialiste des questions « Une seule santé » à la direction du Cirad, « santé, climat et biodiversité sont des sujets intimement liés et doivent être traités ensemble, dans une approche One Health ». Le scientifique était à Dubaï pour organiser un événement parallèle dans le cadre de l’initiative PREZODE sur le Pavillon France. Cet évènement a donné lieu à une déclaration appelant à construire collectivement des écosystèmes One Health résilients, déclaration signée par Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé en France, et plusieurs ministres et organisations membres et partenaires de Prezode.
Voir le replay (à partir de 4h38)
Préservation des forêts tropicales
Le 9 décembre était la journée consacrée au thème « Nature, utilisation des sols, océans ». C’est ce jour-là que le "Science Panel for Amazon" a présenté ses notes d’orientation à l’attention des décideurs. L’une d’entre elles a été corédigée par Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et sociétés du Cirad. Elle propose 7 recommandations pour une gestion forestière durable alliant production de bois et restauration des paysages.
La diplomatie française a présenté deux initiatives pour aider les pays à protéger leurs ressources de carbone et de biodiversité (voir la vidéo ci-dessous). « Le Cirad y a contribué en identifiant notamment les besoins en recherche, explique Alain Billand, directeur pour l’impact au Cirad, présent à la COP28. Le chercheur a aussi été invité à s’exprimer lors du lancement de la Décennie mondiale de l’afforestation et du reboisement par la République du Congo.
Santé des sols et stockage de carbone
Le Cirad a coorganisé plusieurs événements parallèles sur ces thématiques en lien avec l’IRD et l’initiative 4p1000 et d’autres partenaires sur le Pavillon France, sur celui de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et celui de la Francophonie. « Sur ce dernier événement, nous avons eu le privilège d’accueillir à cet événement Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture de France, dans un panel au côté du directeur Environment and Biodiversity du CGIAR, de la Vice-Présidente de l’Initiative 4P1000 et de l’Institut sénégalais de recherche agricole.
Voir le replay
Un focus particulier a été donné à l’Outre-mer français en abordant le thème du carbone du sol par un état des connaissances et leviers d’actions pour les territoires français d’Outre-mer et la coopération régionale.
Des experts et expertes du Cirad, de l’IRD et de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 » rappellent l’importance capitale de sols sains pour que les systèmes alimentaires atteignent l’ambition zéro émission nette de CO2. A quelques jours du démarrage de la COP 28, ils formulent plusieurs recommandations dans une note d’orientation à l’attention des décisionnaires.
Bilan carbone des systèmes d’élevages pastoraux
L’équipe du projet CaSSECS était à la COP28 pour apporter une meilleure visibilité de l’élevage pastoral sahélien. « Ce parent pauvre des politiques publiques fait pourtant vivre plus de vingt millions de personnes au Sahel, et fournit 70 % du lait consommé localement, ainsi que la moitié de la viande de bovins et de petits ruminants », précise Paulo Salgado, animateur scientifique du projet et chercheur au Cirad. « L’ambition est aussi de revaloriser la vision de l’élevage pastoral sahélien dans les arènes de négociation », rappelle El Hadji Traoré, coordinateur du projet et directeur scientifique à l’Institut sénégalais de recherche agricole. Pour Habibou Assouma, spécialiste des questions de bilan carbone au Cirad, « la participation du projet CaSSECS à la COP28 s’inscrit aussi dans une démarche de sensibilisation au grand public des enjeux liés à l’impact carbone des systèmes agropastoraux ». À ce titre, le projet a publié une note d’orientation destinée à être diffusée à une large audience.
L’élevage serait responsable de 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre*. Mais ces calculs se basent sur les systèmes d’élevages intensifs qui considèrent les animaux à travers une fonction unique : la production de viande ou de lait. Au Sahel, les animaux remplissent une multitude de services : sécurité alimentaire, moyen de transport, épargne, fertilisation des sols, dissémination de graines... À l’échelle de l’écosystème, le bilan carbone des activités pastorales peut être neutre, voire présenter un potentiel de stockage.
* groupe des organismes de recherche et des ONG indépendantes (Research and Independent NGOs – RINGO.