Événement 7 mars 2024
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Amazonie : les populations locales replacées au cœur des considérations
Les chefs d’État des huit pays amazoniens (Brésil, Bolivie, Colombie, Guyana, Équateur, Pérou, Suriname et Venezuela) se sont réunis dans la ville brésilienne de Belém les 8 et 9 août derniers. Ce sommet politique a été précédé d’un rassemblement de scientifiques, ONG, membres de la société civile et autres représentants publics, lors des « Dialogues Amazoniens ».
Aux côtés de leurs partenaires, plusieurs scientifiques du Cirad ont contribué aux journées des « Dialogues » et ont observé les débats lors du sommet. Retour avec eux sur les ambitions soulevées par ces deux événements, dans un contexte d’urgence face à la déforestation de l’Amazonie.
Les populations locales et les forêts, cœur des préoccupations
« L’approche dite “ holistique” de la forêt a très vite pris le dessus dans les discussions », relate Plinio Sist, directeur de l’unité de recherche Forêts et sociétés du Cirad. L’écologue forestier précise : « on cantonne encore trop souvent la forêt à sa ressource en bois, ou alors à sa capacité de stockage de carbone. Au Brésil, lors des dialogues comme pendant le sommet, on a vu cette volonté de replacer les communautés locales au cœur des politiques de gestion forestière. Cela implique de voir la forêt aussi comme une source d’amélioration des conditions de vie pour les sociétés et de lier ensemble des dimensions économiques, culturelles, sanitaires, écologiques, etc. » Une vision dans laquelle s’inscrivent le Cirad et ses partenaires depuis plusieurs années et défendue dans deux récentes notes de politique du Comité scientifique et technique Forêt (CST Forêt), piloté par l’Agence française de développement (AFD).
La déclaration de Belém, signée lors du sommet politique, souligne également le rôle des populations locales dans la mise en place d’une gestion durable des forêts. Les peuples indigènes sont cités comme étant les plus à même de protéger la forêt, au travers de gestions dites paysannes ou communautaires.
« Les sociétés amazoniennes sont centrales dans la déclaration, également en tant qu’outil de conservation des forêts et de la biodiversité, renchérit Plinio Sist. C’est une stratégie ambitieuse qui place la gestion durable au profit des populations les plus vulnérables, à la fois comme un outil de conservation, mais aussi d’émancipation sociale et économique. Le chemin est encore long, car il sera nécessaire de créer des conditions favorables à ces gestions communautaires et paysannes au sein de la législation forestière actuelle ».
Au-delà des forêts, le développement durable des sociétés
Au-delà de la protection des forêts, la déclaration insiste sur l’importance de garantir des solutions de développement aux habitants de l’Amazonie, y compris à travers des activités agricoles durables. « C’est une nouveauté à ce niveau de responsabilités », commente René Poccard-Chapuis, géographe au Cirad et expert des questions de production animales et de développement des territoires dans le bassin amazonien.
Au cours des dialogues, plusieurs sessions ont abondé en ce sens, démontrant le potentiel amazonien pour une agriculture durable. De nombreuses solutions reposent par exemple sur les ressources naturelles renouvelables, comme le rayonnement solaire et la pluviométrie, ou sur la collaboration entre différents secteurs agricoles sur une même localité.
Pour Gabriel Resque, scientifique au Centre des sciences agraires et du développement rural de l’Université fédérale du Pará (UFPA-NCADR) au Brésil, « le défi actuel en Amazonie est de concilier à la fois des ambitions écologiques et des enjeux socio-économiques. Notre but est de mettre à jour des innovations qui contribuent au développement des populations qui habitent la région, sans détruire la forêt ». Le chercheur coordonne notamment le dispositif en partenariat Amazônia, un réseau d’institutions de recherche et développement en Amazonie et qui rassemble l’Institut amazonien d’agricultures familiales (UFPA-INEAF), l’Embrapa, l’Université Fédérale du Pará) et le Cirad.
Coordonner les interventions à différentes échelles, du local au global
La déclaration de Belém le rappelle : l’ampleur des impacts de la déforestation en Amazonie ne peut se comprendre qu’à l’échelle régionale. Les participants aux dialogues se sont notamment attardés sur les perturbations du cycle de l’eau observées dans les territoires à l’ouest et engendrées par la déforestation et la dégradation des terres à l’est. « Ce phénomène climatique montre bien à quel point l’enjeu est régional et demande une coordination politique entre les pays » appuie Plinio Sist.
Les chefs d’État ont aussi appelé à une coopération au-delà du bassin amazonien, entre toutes les zones forestières tropicales. L’ambition : porter des propositions communes aux bassins d’Amazonie, du Congo et du Bornéo-Mékong lors des prochaines COP climat.
Conjointement à cette vision régionale, les pays ont soutenu une approche dite « territoriale » dans la mise en œuvre de solutions innovantes. Le territoire, par sa dimension locale et ses capacités de concertation, est apparu comme une échelle décisive pour faire face aux défis de la durabilité. Le gouvernement brésilien a porté en exemple les initiatives de développement durable de plusieurs communes et projette d’en financer de nouvelles. Un choix qui démontre la pertinence de projets accompagnés par le Cirad, comme TerrAmaz ou Sustenta & Inova.
« On observe une volonté d’agir de manière concertée sur plusieurs échelles, précise Marie-Gabrielle Piketty, économiste au Cirad. Les actions de restauration ou de gestion durable ont plus d’impacts positifs lorsqu’elles sont coordonnées à l’échelle d’un territoire, comme celui d’une commune par exemple. La coordination régionale permet de mettre en réseau les initiatives territoriales, de façon à ce qu’elles entrent en synergie avec des actions conduites à des échelles plus larges. Cela peut être dans le domaine des politiques de finance verte ou encore de réglementations des payements pour services écosystémiques. De plus, certaines solutions mises en œuvre à un endroit peuvent fonctionner ailleurs, moyennant quelques adaptations. Il est donc important de garantir que ces territoires puissent échanger et tisser des liens entre eux et entre les acteurs de ces innovations ».
Marie-Gabrielle Piketty est chercheuse au sein de l’unité de recherche Savoirs, Environnement, Sociétés et dirige le projet TerrAmaz. Financé par l’AFD, TerrAmaz accompagne plusieurs solutions innovantes portées par cinq territoires amazoniens pour concilier une transition agricole durable, la conservation et la restauration de ressources forestières et l’inclusion sociale. Les travaux y sont menés selon des approches territoriales, qui reposent sur la concertation et la participation de toutes les parties prenantes. « Les sites de Terramaz se situent au Brésil, en Colombie, au Pérou et en Equateur, détaille la chercheuse. L’un des objectifs, pour nous, est de mettre en relation nos partenaires à travers ces expériences territoriales et ce sur l’ensemble du bassin amazonien ».
Une coopération scientifique qui combine recherches fondamentales et développement
Dans leur déclaration, les chefs d’États insistent sur l’importance de la coopération entre les organismes scientifiques de toute la région, ainsi que la mobilisation des contributions d’institutions extérieures. « Outils de monitoring, gestion publique de ressources, méthodes d’évaluations, mise au point de bonnes pratiques agricoles, ingénierie sociale autour de la participation et de la co-construction des savoirs, constitutions de bases de données de références, valorisation de la biodiversité… Les sujets et les partenaires de recherche ne manquent pas en Amazonie », commente René Poccard-Chapuis. Ce géographe du Cirad, de l’unité de recherche Systèmes d’élevage méditerranéens et tropicaux, est expatrié en Amazonie brésilienne depuis quinze ans. Il travaille dans les locaux de l’Embrapa, le principal centre de recherche agronomique au Brésil.
René Poccard-Chapuis coordonne notamment les activités de TerrAmaz à Paragominas, une commune brésilienne qui s’engage depuis des années pour la gestion durable de son territoire. Restauration de paysages, amélioration de la qualité de l’eau, pratiques d’élevage durables et rentables… « Cela va bien au-delà de la science fondamentale, commente le chercheur. En considérant le territoire avec toutes ses composantes, forestières, agricoles et sociales en particulier, on développe des méthodes de recherche connectées avec le monde du développement et la gestion publique locale. C’est ce qui nous permet de proposer des outils opérationnels qui concilient à la fois conservation de la biodiversité et amélioration des conditions de vie pour les populations ».
« Le sommet et les dialogues ont largement stimulé la discussion avec la société civile, commente Gabriel Resque. Les habitants de la région seront les premiers concernés par les actions qui seront mises en œuvre pour cette région, donc leur représentation et leur participation étaient primordiales ». Pour le dispositif Amazônia, les dialogues et le sommet ont été l’occasion de rencontrer de nouveaux partenaires potentiels. Le réseau s’est depuis peu élargi aux autres pays et territoires amazoniens, notamment la Colombie, le Pérou et la Guyane française. « Nous travaillons déjà en recherche appliquée sur le terrain en collaboration avec des partenaires non scientifiques comme des institutions publiques, des entreprises privées ou des ONG. Ces coopérations nous permettent d’avoir un impact auprès des politiques publiques et pour transformer les systèmes de productions des agriculteurs ».
Selon les scientifiques, le sommet pourrait servir de catalyseur à de nombreuses coopérations entre organismes de recherche. Il a été question, lors des débats, de créer une institution équivalente au GIEC pour l’Amazonie. Les dialogues ont par ailleurs réussi à rassembler pour la première fois depuis 2019 le Science Panel for the Amazon, un réseau international de plus de 240 scientifiques spécialistes de la région, et dont Plinio Sist est membre.
La Guyane, territoire français en Amazonie
Les échanges lors du sommet ont rappelé la responsabilité des autres pays en termes de financements pour la transition climatique, mais aussi leur rôle dans une coopération scientifique effective et porteuse de solutions. « Cette déclaration de Belém est aussi un appel à développer une réelle coopération entre l’Europe et l’Amazonie autour de la lutte contre la déforestation importée, estime Plinio Sist. Et cela passera non seulement par le contrôle des produits échangés, mais aussi par le soutien envers les producteurs qui s’engagent dans des voies durables ».
La France a un rôle particulier à jouer dans la coopération amazonienne, puisque l’Amazonie s’étend aussi sur l’un de ses territoires. « La Guyane partage de nombreuses problématiques avec ses voisins, comme l’orpaillage ou l’extraction minière illégale, détaille Plinio Sist. C’est par ailleurs un territoire qui développe depuis des années des outils d’observation de la restauration forestière et des modes de sylviculture durable ».
Dans le domaine de l’élevage ou des cultures pérennes comme le café et le cacao, des dispositifs de mesure mis en place en Guyane gagneraient à être mis en réseau avec les sites d’autres pays amazoniens. La formation, la valorisation de la biodiversité, ou encore les méthodes d’évaluations et de mesure d’impacts sont autant de domaines de coopérations pour les secteurs publics et privés installés en Guyane. Plusieurs travaux ont déjà été conduits, comme le projet Açai’action, qui a porté sur le fruit de l’açaí et a reposé sur des collaborations étroites entre le Suriname, la Guyane et le Brésil.