Quelques mois après une première édition dédiée au coton, Max Havelaar France revient pour une deuxième session des « Rencontres scientifiques de Max Havelaar France ». Cette fois-ci, le café est à l’honneur. Au programme : les implications du changement climatique sur les cultures et l’urgence de repenser les schémas de commercialisation de ce grain noir.
Organisé en collaboration avec le Cirad, ce cycle d’évènements souligne l’importance de faire se rencontrer scientifiques, producteurs, acteurs économiques et membres de la société civile pour réfléchir ensemble à l’avenir des filières agricoles.
Un climat déréglé qui perturbe les conditions de production du café
« Avant au Nord-Kivu, on avait deux saisons en termes de production : une petite de février à mai, et une plus grande de septembre à décembre. Aujourd’hui, les saisons sont décalées et la floraison est plus précoce. Les fortes pluies perturbent les récoltes et on doit lutter contre l’érosion des sols. Le calendrier agricole est bouleversé et ça impacte les rendements. »
Bertrand Paluku Isevulambire travaille pour le Conseil Agricole Rural de Gestion du Congo. Il fournit un appui agronomique et commercial à plusieurs coopératives, dont celle de Kawa Kanzurururu, qui regroupe plus de 2000 producteurs de café du Nord-Kivu, à l’est de la République Démocratique du Congo. Partenaire de Max Havelaar France depuis plusieurs années, la coopérative se spécialise dans le café Arabica de qualité. Face au changement climatique, qui impacte durement leurs producteurs et la qualité des grains, la coopérative sollicite l’accompagnement du gouvernement et de plusieurs entreprises privées et fondations, ainsi que des partenaires scientifiques. La coopérative est située non loin du Parc national des Virunga, dans une zone particulièrement conflictuelle. La préservation de l’environnement et le maintien d’activités génératrices de revenus sont donc clés face aux enjeux de sauvegarde des écosystèmes et d’autonomisation économique des producteurs.
L’agroforesterie est l’une des principales solutions développées au sein des exploitations membres. « Les arbres d’ombrage aident à lutter contre l’érosion des sols, et participent aussi à préserver la biodiversité, détaille Bertrand Paluku Isevulambire. Nos producteurs se situent autour d’un parc national, donc ils évitent l’utilisation de produits chimiques, ce qui est une bonne nouvelle pour l’environnement, pour la qualité du café, mais aussi pour leur propre santé. »
L’agroforesterie : bon pour l’environnement, bon pour l’économie ?
Entre hausse des températures et irrégularités des précipitations, les systèmes de culture basés sur l’utilisation d’arbres d’ombrage sont une solution agronomique tout indiquée. Qu’en est-il de leurs performances agronomiques ? Actuellement, les systèmes agroforestiers présentent des rendements à court terme inférieurs aux plantations en monoculture et plein soleil. Cependant, de récentes études mettent en avant de nouvelles variétés de caféiers adaptés à l’ombrage et qui présentent des rendements de plus en plus performants**. En revanche, les petites exploitations ne disposent souvent pas des fonds de trésorerie nécessaires pour acquérir le matériel et développer les itinéraires techniques nécessaires à la transition. Dans ses conditions, comment l’agroforesterie peut-elle être perçue comme une alternative viable, et comment la diffuser ?
« Sur certains territoires, on n’aura pas le choix de passer en agroforesterie dans les prochaines années. Sauf à abandonner la culture du café. La hausse des températures va diminuer la surface des terres où la culture de l’Arabica en plein soleil est encore possible, et augmenter les surfaces pour le Robusta. Or, l’espèce Arabica a une meilleure qualité aromatique et vaut plus cher. » Pour Guillaume David, correspondant adjoint de la filière café au Cirad, il faut repenser la manière dont on envisage la rentabilité en agroforesterie : « les calculs se fondent encore sur des variétés qui ont été sélectionnées pour du plein soleil. De récentes améliorations variétales et la création de variétés hybrides adaptées à l’agroforesterie tendent à contrebalancer les chiffres en faveur de l’agroforesterie. Par ailleurs, utiliser des arbres ou des haies permet de réduire l’utilisation d’intrants, qui coûtent de plus en plus cher et présentent des risques environnementaux. Le café produit en agroforesterie est aussi de meilleure qualité, et peut donc être vendu plus cher. Enfin certaines espèces d’arbres d’ombrage peuvent également être valorisées et ainsi apporter une source de revenus supplémentaire ».
Outre l’amélioration variétale, un autre enjeu central est de réussir à valoriser le prix de vente de ce café sous ombrage. Cela peut par exemple passer par la certification des systèmes de culture durables, mais aussi par une meilleure prise en compte des conséquences négatives de la culture de café conventionnelle sur l’environnement.
En Amérique centrale, les caféiers grandissent dans l’ombre d’autres arbres. Ces systèmes de cultures appelés « agroforesterie » permettent une meilleure résilience face aux aléas climatiques. Dans ce troisième épisode de la nouvelle saison du podcast du Cirad, on vous invite à explorer le futur du café à travers les paysages agroforestiers du Nicaragua.
Le commerce équitable pour un juste prix du café
Le café est le deuxième produit le plus échangé dans le monde, juste derrière le pétrole. Deux milliards de consommateurs font face à 25 millions de producteurs, dont la grande majorité travaille sur des surfaces de moins de cinq hectares. Entre les deux, seulement trois négociants se partagent environ 50 % du marché, et cinq torréfacteurs en concentrent 45 % (voir à ce sujet l’étude du Basic « Café : la success story qui cache la crise », 2018). Favorisés par cet oligopole, ces gros négociants et torréfacteurs sont en position de force pour négocier le prix du café vert auprès des producteurs.
Des alternatives existent cependant pour les caféiculteurs. Par exemple, la certification de commerce équitable***, qui leur assure un prix minimum ainsi qu’une prime supplémentaire de développement, pouvant être investie dans des projets communautaires de leur choix. L’ONG Fairtrade/Max Havelaar travaille ainsi avec plus de 872 000 producteurs de café à travers une trentaine de pays.
L’ONG soutient un rapprochement entre producteurs et consommateurs, et une meilleure redistribution de la richesse générée par le négoce et la torréfaction du café. « La certification « commerce équitable » participe à enrayer une mécanique qui repose sur la pauvreté et participe au changement climatique », estime Blaise Desbordes. Cette tendance est confirmée par Denis Seudieu, économiste en chef à l'Organisation internationale du Café (OIC), pour qui tout changement de la filière café doit passer par les organisations de producteurs : « les coopératives ou les associations sont le premier maillon entre le marché et les producteurs. C’est aussi le tremplin à toute solution proposée face au changement climatique. Quelles que soient les mesures envisagées, si on veut qu’elles soient traduites auprès des producteurs, il faudra passer par les coopératives ». Elles sont efficaces, proches du terrain, et font le lien avec des producteurs à la fois petits et divers, rappelle l’expert. Que ce soit pour négocier un prix ou implémenter de nouvelles techniques de culture, il serait trop coûteux pour tout organisme externe d’essayer d’approcher les producteurs un par un. « En renforçant les coopératives, on renforce les producteurs. »
L’instabilité des prix sur le marché international renforce la pression exercée sur les producteurs
Ces dernières années, la libéralisation progressive de la filière a entraîné la suppression, dans la plupart des pays exportateurs, des organismes parapublics de contrôle de la commercialisation du café. « La réalité du marché, c’est que le café est une commodité dont le prix traduit l’écart entre offre et demande », rappelle Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine. « Une grosse vague de froid au Brésil juste avant la récolte peut engendrer une vague de spéculation et alimenter l’instabilité des prix au niveau international. Cette situation est facteur de pression pour les producteurs, et les amène à favoriser des pratiques rentables à court terme. »
La solution serait donc de passer d’une logique de prix à une logique de valeur, qui favoriserait les caféiculteurs aux méthodes de production durables. Cela leur permettrait d’atteindre des objectifs environnementaux et sociaux à long terme, mais aussi de rivaliser efficacement avec les autres acteurs du marché et de s’assurer une marge de profit acceptable. Systèmes agroforestiers, amélioration variétale, commerce équitable et systèmes de certifications… De nombreuses pistes sont explorées au niveau des acteurs privés, mais également de la recherche, dans un but précis : améliorer la durabilité de la filière, et n’oublier personne en chemin.
(Re)voir les échanges lors des rencontres :
* En se basant sur les derniers scénarios d’émissions du GIEC, Bunn et al. ont estimé l’évolution de la superficie mondiale des terres agricoles propice à la culture du café. Selon le scénario RCP6.0, considéré comme l’un des plus probables à l’heure actuelle, les terres capables d’accueillir la culture de caféier seront réduites d’environ 50 % d’ici 2050.
Bunn, C., Läderach, P., Ovalle Rivera, O., & Kirschke, D. (2015). A bitter cup: Climate change profile of global production of Arabica and Robusta coffee. Climatic Change, 129(1), 89–101.
** En 2022, des scientifiques publient une méta-analyse compilant plus de 200 données sur le rendement de caféiers Arabica provenant de divers essais en plein champ, dans l’objectif d’établir une comparaison entre les cultures plein soleil et les cultures d’ombrage. Quasiment l’ensemble des variétés analysées présente une baisse de rendement en systèmes d’ombrage, donc agroforestiers. Cependant, les auteurs mettent aussi en lumière certaines variétés dont la production augmente avec l’ombrage.
Koutouleas, A., Sarzynski, T., Bertrand, B. et al. Shade effects on yield across different Coffea arabica cultivars — how much is too much? A meta-analysis. Agron. Sustain. Dev. 42, 55 (2022).
*** Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, détaille les piliers qui fondent les principes du commerce équitable : « la lutte contre la pauvreté et les conditions de vie précaires des producteurs sont notre enjeu numéro un, c’est pour cela qu’on s’engage à verser un surprix d’environ 10 % aux caféiculteurs. En parallèle des aspects économiques, notre activité repose sur des garanties sociales pour faire respecter les droits minimums, comme les congés. On a évidemment tout un volet environnemental dans notre cahier des charges. Enfin, le dernier pilier, c’est celui de la démocratie coopérative. Les producteurs qui veulent être intégrés dans le mouvement doivent se regrouper au sein de coopératives ».
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