Plaidoyer 10 avril 2024
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Le sol est à la base du bon fonctionnement des écosystèmes : leçons de Côte d’Ivoire
« Le sol a longtemps été perçu comme un simple support dans lequel il est facile d’ajouter artificiellement certains éléments. Un peu d’engrais pour la production agricole, par exemple. En vérité, le sol n’est pas un simple réservoir de nutriments, et sa santé globale est ce qui garantit le bon fonctionnement de tout un tas de services écosystémiques indispensables aux activités humaines. »
Bruno Hérault est spécialiste des forêts tropicales au Cirad. En mai 2023 à Abidjan, il a participé au séminaire international sur la préservation et la restauration des sols forestiers en Afrique de l’Ouest, organisé par le ministère d’État, ministère de l’Agriculture et de Développement Rural de Côte d’Ivoire. Cet événement avait pour but d’engager un dialogue à la croisée entre science, politique et agriculture, afin de replacer la question des sols au cœur de l’agenda politique. Les discussions ont donné lieu à la rédaction d’un rapport qui dresse dix recommandations pratiques. Parmi elles : accélérer la transition agroécologique et renforcer le dialogue entre agriculteurs, les scientifiques et les décideurs publics.
Avec ses partenaires du projet Terri4Sol, le Cirad est à l’initiative de ce séminaire financé par le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM). De nombreuses autres institutions ont participé au financement et à la construction scientifique du séminaire, dont le ministère d’État, ministère de l’Agriculture et de Développement Rural, l’université Nangui Abroguoa d’Abidjan, l’École Supérieure d'Agronomie (ESA) de Yamoussoukro, ou encore l’IRD.
Terri4sol vise à promouvoir des pratiques durables de gestion des paysages post-forestiers de Côte d’Ivoire, en s’appuyant sur le rôle des sols dans le bon fonctionnement des écosystèmes. Le projet, tout comme le séminaire, s’inscrit dans l’initiative « 4 pour 1000 » : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat, lancée en 2015 lors de la COP21. « 4 pour 1000 » vise à fédérer tous les organismes, publics et privés, qui travaillent à faire reconnaître l’importance des sols et de leur santé dans la sécurité alimentaire et la lutte contre le changement climatique.
Accélérer la transition vers des pratiques agricoles durables
Les recommandations pointent toutes vers une évolution urgente du secteur agricole. La qualité des sols, dont dépendent des services écosystémiques cruciaux comme le stockage de carbone, est menacée par la pollution d’intrants chimiques. La déforestation quant à elle, accélère la dégradation des terres sur des zones déjà fortement impactées par le changement climatique.
Face à ces défis, et dans le but de garantir une production agricole suffisante pour assurer la sécurité alimentaire de la région, différentes solutions ont été mentionnées. D’une part, les pratiques agroécologiques peuvent améliorer la productivité tout en préservant la biodiversité et la santé des sols. À titre d’exemple, des projets de co-conception de systèmes agroforestiers en cacaoyères sont en cours en Côte d’Ivoire, comme Cocoa4Future. D’autre part, le soutien aux petits agriculteurs et aux organisations paysannes permettrait de valoriser les activités vertueuses, à travers des certifications ou un meilleur accès aux marchés.
« Il est urgent de mettre en place des cultures qui « restent », souligne Bruno Hérault. Historiquement, une fois que les sols étaient épuisés, les agriculteurs partaient défricher des pans de forêts pour replanter leurs cultures ailleurs. Or les terres ne sont pas illimitées, et seules des pratiques agricoles adaptées permettront de gérer durablement la fertilité des sols. »
Renforcer le dialogue « science-politique »
Cette transition agricole ne sera possible qu’à condition d’établir un dialogue de qualité entre les agriculteurs, les scientifiques et les décideurs publics, et ce à différentes échelles. La recherche a un rôle important à jouer dans le développement de nouvelles méthodes d’évaluation de la santé des sols, aussi bien sur le stockage de carbone que sur les indicateurs de dégradation.
Les débats ont mis l’accent sur le dialogue science-politique comme processus d’apprentissage collectif et sur la nécessité d’incorporer davantage de considérations politiques dans la recherche. « Explorer, clarifier et prendre en compte les facteurs politiques dans la recherche scientifique sont cruciaux, appuie Carolina Milhorance, chercheuse en sciences politiques au Cirad et co-organisatrice du séminaire. Cela nécessite un plus grand pluralisme et une approche interdisciplinaire pour surmonter les limitations imposées par une recherche trop directive ou décontextualisée. Les chercheurs doivent jouer un rôle actif dans ce processus de collaboration, en contribuant à la construction de problématiques et de solutions publiques. »
Dans le cadre du projet Terri4Sol, des universitaires ivoiriens se mobilisent pour sensibiliser les administrations publiques aux questions liées à la santé des sols. L’implication des décideurs sera cruciale pour mettre en œuvre des politiques de lutte contre la déforestation, mais aussi de soutien aux pratiques agricoles durables.