Regard d'expert 19 mars 2024
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Marisa Peyre : « Sans prévention des maladies émergentes, nous revivrons la même crise dans 5 ou 10 ans »
La stratégie actuelle de gestion des pandémies est un échec. Pourquoi ?
Marisa Peyre : La gestion de la Covid-19 est un échec surtout pour les pays occidentaux. Beaucoup de pays asiatiques et africains ont mieux affronté la crise. Probablement, car ils font régulièrement face à des épidémies quand les pays du Nord ont quasiment oublié ce qu’est une maladie infectieuse. Cet échec est, en grande partie, lié au fait que la gestion de la crise démarre après l’émergence de la maladie. Pourtant, la prévention couterait 100 fois moins que de contrôler les pandémies futures.
Nous devons impérativement tirer des leçons de la pandémie actuelle, car le risque d’émergence ne diminuera pas après la résolution de la crise de la Covid-19. Le nombre de zoonoses augmente, tout comme la fréquence des transmissions interespèce à l’origine de nouvelles maladies.
Pour vous, il faut investir dans la prévention des épidémies…
M. P. : La surveillance est le premier rempart face à l’apparition de nouveaux pathogènes. Il est nécessaire de travailler en amont des futures crises sanitaires en concertation avec les acteurs en première ligne à l’interface avec les animaux sauvages et domestiques (éleveurs, chasseurs…). Au Cirad, nous étudions ces questions depuis plus de quinze ans, mais c’est une approche qui n’est pas si répandue. L’immense majorité des financements vont à la détection active de pathogènes plutôt qu’à la surveillance. Or, ce n’est pas la même chose.
La surveillance consiste à collecter et analyser en continu des données de santé ou autres indicateurs directs ou indirects pour informer les personnes compétentes pour prendre des décisions et agir. Les enquêtes épidémiologiques de détection de pathogènes sont ponctuelles. Elles sont importantes, mais pas suffisantes pour éviter les émergences puisque, par définition, il s’agit de maladies qu’on ne connait pas. J’entends encore trop de spécialistes qui pour répondre aux risques émergents veulent renforcer les outils de test et de diagnostic. Ils sont nécessaires, bien sûr, mais loin d’être suffisants. Sans dispositifs de surveillance et d’alerte précoce à la source, on peut parier que nous revivrons la crise actuelle demain, dans 5 ans, ou dans 10 ans.
Comment empêcher l’apparition et la diffusion de nouvelles maladies ?
M. P. : La prévention des épidémies repose sur deux lignes d’action : l’anticipation et la prévention des risques d’émergence d’une part, la détection précoce et la réaction rapide d’autre part. La collaboration entre les secteurs de la santé animale, humaine et environnementale est essentielle. C’est tout l’enjeu de l’approche « Une seule santé/One health ». Les risques émergents doivent être mieux compris et les actions de maîtrise de ces risques correctement définies en fonction de chaque contexte socio-économique avec les gens qui les mettent en œuvre sur le terrain. Cela nécessite, dans chaque pays et région du monde, un partenariat local fort entre décideurs, autorités de santé, scientifiques et communautés en contact avec les animaux sauvages et domestiques. Les systèmes de détection précoce aux niveaux local, régional et mondial doivent être renforcés et développés à l’aide d’approches innovantes et participatives. Il n’existe actuellement aucune initiative internationale s’attaquant à l’ensemble de ces enjeux en intégrant la préservation de la biodiversité. Cette approche globale est l’objectif de PREZODE.
Le Cirad est depuis 15 ans à l’origine de grands réseaux de surveillance. C’est une expertise rare…
M. P. : Effectivement. Plusieurs réseaux régionaux, initiés par le Cirad en appliquant le concept Une seule santé, ont déjà fait leurs preuves pour limiter l’entrée de maladies animales sur des territoires ou les contrôler. Par exemple, le réseau CaribVET, animé depuis la Guadeloupe, a mis en place une alerte précoce sur la grippe aviaire et un renforcement de la vigilance aux frontières. Ces actions ont permis d’éviter l’entrée de la maladie en 2016 dans les Caraïbes. Dans l’Océan indien, le réseau One Health OI a appuyé le contrôle des épizooties de fièvre aphteuse déclarées à Rodrigues-Maurice et de fièvre de la vallée du Rift à Mayotte en 2019. Ces réseaux cumulent plus de 15 ans d’expérience. Ils ont réalisé un travail colossal de coordination, de tissage de liens de confiance entre les acteurs pour un partage d’information efficace.
Deux autres dispositifs de recherche et de formation en partenariats (dP) contribuent aux approches intégrées de la santé à un niveau régional : les dP Grease en Asie du Sud Est et le dP RP-PCP en Afrique Australe. Ils rassemblent des activités de recherche-développement et des partenariats de long terme sur les questions d’émergence ou d’interaction faune sauvage-faune domestique. Ils ont permis de mieux comprendre les enjeux et contraintes socio-économiques pour les acteurs de la surveillance au quotidien et l’importance de la co-construction participative et ainsi contribué à l’amélioration de la gestion des maladies animales et zoonotiques comme l’influenza aviaire au Vietnam
Quelle expérience en a-t-on tirée ?
M. P. : Énormément de connaissances. Notamment qu’il existe des conditions incontournables pour rendre ces réseaux efficaces, réactifs et pérennes. La première est qu’ils doivent être co-construits avec les partenaires opérationnels. C’est en participant au développement du dispositif qu’ils assurent sa pertinence et se l’approprient. La définition des protocoles et leur mise en œuvre doivent se faire avec une approche ascendante (bottom-up) et pas seulement descendante (top-down). L’idée est de renforcer cette chaine de dialogue entre les acteurs privés et publics qui est l’essence même d’un réseau de surveillance. Et cela en prenant en compte les contraintes et les besoins de chacun. Les partenariats publics-privés ainsi que le dialogue constant science-société-politique sont essentiels au bon fonctionnement des stratégies de surveillance et des politiques de santé de manière plus globale.
Autre point crucial, ces réseaux doivent être renforcés à 4 échelles : locale, nationale, régionale et internationale. PREZODE va lier et articuler ces trois niveaux en temps réel.
Enfin, il est important d'informer sur le paradoxe de la prévention sanitaire. Car dans ce domaine, l’indicateur de succès est l’absence de maladie. Or, il ne faut pas que les pouvoirs publics arrêtent de financer les dispositifs de surveillance sous prétexte qu’il n’y a plus de maladies.
PREZODE va prendre la forme d’un programme de recherche-action. De quoi s’agit-il ?
M. P. : Plusieurs activités de recherche seront menées en parallèle du renforcement des réseaux de prévention et de surveillance. La construction participative est un processus itératif entre compréhension des enjeux, des contraintes socio-économiques, implication des acteurs et mise en œuvre des solutions identifiées de manière collective. Elle nécessite une application dans un temps très court des résultats issus de la recherche.
PREZODE, une initiative mondiale pour prévenir la prochaine pandémieSous l’égide de la France et de l’Allemagne, l’initiative PREZODE — Prévenir les risques d’émergences zoonotiques et de pandémies — vient d’être lancée à l’occasion du One Planet Summit, le 11 janvier. Initiée par trois instituts de recherche français — le Cirad, INRAE et l’IRD — en concertation avec une dizaine d’autres organisations de recherche*, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, PREZODE regroupe déjà plus d’un millier de chercheurs et acteurs opérationnels. Ce programme mondial combinant recherches et actions opérationnelles a été co-construit et partagé en décembre 2020 avec plus de 400 participants de 50 pays des 5 continents. Les organisations internationales comme l’OMS, l’OIE, la FAO, le PNUE**, la Banque Mondiale et la Commission européenne ont manifesté leur vif intérêt pour cette initiative.
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