Au Sénégal, le Cirad accompagne la transition agroécologique

Histoire de changement 3 mai 2021
En 2019, le Cirad a contribué à fonder la « Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal » (DyTAES) aux côtés de paysans, organisations communautaires de bases, ONG, collectivités territoriales, chercheurs et entreprises privées. En se basant sur la recherche et l’expérience de terrain de ses membres, ce mouvement ambitionne d’accompagner l’État sénégalais dans l’élaboration de politiques agroécologiques et de faire du pays un modèle dans le domaine. Retour sur deux ans de résultats prometteurs.
Mariam Sow présente la DyTAES au One Planet Summit, janvier 2021 (c) R. Belmin, Cirad
Mariam Sow présente la DyTAES au One Planet Summit, janvier 2021 (c) R. Belmin, Cirad

Mariam Sow présente la DyTAES au One Planet Summit, janvier 2021 © R. Belmin, Cirad

Pour satisfaire les besoins alimentaires et économiques des communautés rurales et urbaines en croissance, préserver les ressources naturelles et s’adapter au changement climatique, il devient urgent de produire différemment. L’agroécologie permet aujourd’hui de changer de paradigme. Cet ensemble de théories et pratiques agricoles propose des systèmes de production alternatifs qui s’inspirent du fonctionnement des écosystèmes, afin de préserver la biodiversité et d’optimiser les relations entre agriculture, élevage, foresterie, environnement, systèmes alimentaires et sociétés. Par ailleurs, l’agroécologie et ses métiers connexes apportent des solutions aux préoccupations des États en matière d’emploi et d’insertion professionnelle.

Un contexte propice à la transition agroécologique


La population du Sénégal, estimée à plus de 16 millions, connaît une augmentation rapide et devrait dépasser les 25 millions en 2035.  Nourrir de façon durable et saine cette population se pose comme un défi majeur dans un contexte difficile : intensification des changements climatiques, urbanisation accélérée, conséquences environnementales négatives de la « révolution verte », multiplication des problèmes de santé liés en grande partie aux modes de consommation et aux systèmes alimentaires, etc.

Avec l’initiative « PSE vert » inscrite dans le Plan Sénégal émergent (PSE) - référentiel de la politique économique et sociale à moyen et long terme - l’État du Sénégal affiche une ambition forte en faveur de modes de production et de systèmes alimentaires plus durables. Se saisissant de cette volonté politique affichée, différents acteurs sénégalais et internationaux - dont le Cirad - ont créé, en 2019, un cadre institutionnel pour contribuer aux réflexions de l’État sur la la transition agroécologique. Dénommé « Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal » (DyTAES), ce cadre regroupe des paysans, des organisations communautaires de base, des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales, des chercheurs et des entreprises privées. Son objectif : alimenter les réflexions, en se basant sur l’expérience de ses différents membres, afin d’en partager les enseignements et formuler certaines recommandations.

Le Sénégal ne part pas de zéro sur ce chemin de la transition agroécologique. Depuis plus de quatre décennies, des initiatives portées par l’État et la société civile ont permis le développement d’expérimentations de terrain positives ainsi que d’instruments réglementaires, plans et programmes favorables. Présent historiquement au Sénégal, le Cirad a contribué à nourrir ces initiatives, fort de son expertise agroécologique avec les producteurs, chercheurs, professionnels du développement et décideurs de nombreux pays tropicaux et méditerranéens.

Pour Mariam Saw, Secrétaire exécutive d’ENDA Pronat, membre de la DyTAES : "Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que le Sénégal soit un pays pilote en matière d’agroécologie. Depuis des années, de nombreuses initiatives sont menées en matière d’agriculture biologique, de semences paysannes et sont de plus en plus coordonnées. Il y a un engagement fort des élus locaux et autorités nationales. Le Sénégal joue également un rôle actif dans les instances de coordination en Afrique de l’Ouest. En tant qu’acteur de la recherche, le Cirad a beaucoup contribué à produire des preuves scientifiques de l’efficacité des systèmes agroécologiques, afin d’accompagner l’État à s’y engager à grande échelle. Comment aller vers des recherches-actions structurantes au niveau des communautés, qui tiennent compte à la fois des pratiques endogènes et des connaissances scientifiques ? Le Cirad a participé à ces réflexions, depuis les débuts de la DyTAES, assurant également la coordination de la rédaction du document de contribution aux politiques publiques. En retrouvant l’écoute égalitaire et la reconnaissance mutuelle entre science fondamentale et science paysanne, et en ayant un système de planification et de financement intégré, la DyTAES pourra être vraiment structurante à l’échelle des territoires, et mettre en place des systèmes de production qui sécurisent les populations sur leur terre pour les années à venir."

En tant qu’acteur de la recherche, le Cirad a beaucoup contribué à produire des preuves scientifiques de l’efficacité des systèmes agroécologiques, afin d’accompagner l’État à s’y engager à grande échelle. Comment aller vers des recherches-actions structurantes au niveau des communautés, qui tiennent compte à la fois des pratiques endogènes et des connaissances scientifiques ? Le Cirad a participé à ces réflexions, depuis les débuts de la DyTAES, assurant également la coordination de la rédaction du document de contribution aux politiques publiques.

Mariam Sow
Secrétaire exécutive d’ENDA Pronat, et présidente du réseau international ENDA tiers-monde, membre de la DyTAES

Contribuer au développement de politiques publiques ambitieuses


En 2019, les membres de la DyTAES ont mené un diagnostic participatif de la transition agroécologique au Sénégal, impliquant plus d’un millier d’acteurs dans les six zones éco-géographiques du pays (Casamance, Niayes, Sénégal oriental, Bassin arachidier, Ferlo, Vallée du fleuve). Couplé à une analyse des travaux de recherche existants, ce diagnostic a permis d’identifier une série de défis majeurs pour l’agriculture sénégalaise, depuis la résilience aux aléas climatiques et bio agresseurs jusqu’à la nécessaire promotion d’une agriculture familiale, en passant par la gestion plus durable des ressources telles que l’eau, le sol, la forêt. Début 2020, à l’issue des journées de l’agroécologie, parrainées par le président sénégalais et organisées par la DyTAES, le mouvement a remis au ministre de l’Environnement et du Développement durable, un rapport intitulé « Contribution aux politiques nationales pour une transition agroécologique au Sénégal ». Il y pose un diagnostic de la situation de l’agriculture au Sénégal et propose un ensemble de recommandations politiques pour la transition agroécologique du pays. La rédaction du document, dont Raphaël Belmin, du Cirad, a assuré la coordination, a mobilisé vingt experts issus des structures membres du mouvement.

D’autres moments forts ont suivi, pour la création d’un cadre de dialogue pérenne et multisectoriel entre la DyTAES et l’État sénégalais. Le ministre de l’agriculture sénégalais, qui a reçu la DyTAES en novembre 2020, a décidé de reverser 10 % des subventions vers les fertilisants organiques à l’hivernage prochain. L’utilisation des fertilisants organiques faisant partie des leviers pour rendre les systèmes agricoles plus durables, cette décision constitue une avancée significative pour la transition agroécologique. Enfin, symbole de la reconnaissance croissante de la DyTAES au niveau international, le mouvement a été invité à intervenir en session plénière devant les chefs d’États réunis pour le « One planet summit », en janvier 2021. L’occasion d’inviter les États à accélérer leur engagement et de rappeler l’importance de financements significatifs et cohérents pour l’agroécologie.

La Dytaes représente un exemple pour les mouvements agroécologiques à travers le monde. En organisant des caravanes pour aller à la rencontre des populations rurales, puis en analysant les résultats de ces entretiens, ils ont pu identifier les principaux facteurs déterminants pour intégrer les pratiques agroécologiques comme outils de valorisation des services écosystémiques, de sécurité alimentaire, et de création d'emplois. Je suis convaincue que la Dytaes a vocation à servir d'exemple non seulement en Afrique de l'Ouest, mais aussi tout le long des pays de la Grande muraille verte, et même en France. Le partenariat entre la Dytaes et le Cirad démontre tout l'intérêt de la collaboration internationale pour déployer l'intensification agroécologique d'une manière mesurable scientifiquement et adaptée aux agriculteurs.

Sarah Toumi
Membre du Conseil Présidentiel pour l'Afrique

Développer et mettre en synergie les expérimentations locales


Parallèlement à la mise en place d’un dialogue avec les autorités, la DyTAES travaille à structurer le réseau avec des instances formalisées : comité de pilotage, comité technique et secrétariat sont responsables d’orienter et coordonner les activités. Le mouvement a également établi une charte d’engagement et un plan d’action en cinq axes. Sur le terrain, en s’appuyant sur les projets portés par ses membres, la DyTAES produit des preuves scientifiques de la contribution de l’agroécologie à des systèmes plus durables et performants. Autant d’éléments qui alimentent, en retour, le plaidoyer et la construction des politiques publiques. Objectif à terme : créer un maillage de DyTAES locales au niveau des communes, départements, territoires, interagissant les unes avec les autres et permettant la planification, à grande échelle, de la transition agroécologique dans le pays. La première DyTAES locale a vu le jour le 24 mars 2021 dans la région de Tambacouda. D'autres devraient émerger grâce à l'appui des différents projets en voie de démarrage (Santés-Territoires, Fair Sahel, etc.).