Science en action 6 mai 2024
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Amazonie : un crédit pour financer un élevage vertueux et préserver la forêt
« Les conditions équatoriales de l’Amazonie sont bien adaptées pour un élevage bovin à l’herbe », assure René Poccard-Chapuis, géographe au Cirad. Mais revers de la médaille : cette activité est une des principales causes de la déforestation qui affecte la biodiversité, le cycle de l’eau, les sols et la régulation du climat. Or, « des pratiques d’élevage innovantes et simples à mettre en œuvre pourraient enrayer ces processus », complète le géographe.
C’est pourquoi la banque d’Amazonie* en partenariat avec le Cirad et avec le soutien de l’AFD et de son homologue allemand la Deutsche gesellschaft für internationale zusammenarbeit (GIZ), a lancé en novembre dernier le produit financier « Pecuária Verde » (Élevage vert).
« Ce prêt à faible taux d’intérêt vise la mise en place de paysages plus efficients. C’est-à-dire des territoires qui combinent des zones de forêts naturelles avec des zones d’élevage où la production fourragère est performante. Les premières répondent aux enjeux environnementaux de la région et les secondes aux besoins économiques des éleveurs » résume René Poccard-Chapuis.
Ces travaux sont menés dans le cadre du projet d’appui aux territoires amazoniens TerrAmaz, financé par l’AFD, et dont René Poccard-Chapuis coordonne le site pilote brésilien Paragominas.
L’élevage vertueux : une question de timing
Pour relever ce défi, le prêt finance la mise en place d’un système d’élevage qui repose sur une gestion optimale des pâturages. L’éleveur abaissera d’abord l’acidité des sols provoquée par la déforestation et le feu en y épandant de la chaux. Puis, il sèmera ses pâturages en décalé dans de multiples parcelles. « En Amazonie, l’herbe pousse très vite et en grande quantité grâce à l’énergie solaire et la pluviométrie très élevées », précise le géographe.
Tout est ensuite une question de coordination. Au bout de 3 semaines de pousse, les feuilles de l’herbe atteignent leur niveau optimum de qualités nutritives et de digestibilité. Les 3 à 4 jours suivants sont idéaux pour une pâture efficiente, avant un nouveau repos de trois semaines. Les bovins paissent alors dans l’enclos suivant, où l’herbage sera à son tour arrivé à maturité.
Une pratique avantageuse pour les éleveurs, la forêt et l’environnement
Le premier bénéficiaire de ces pâturages tournants est l’éleveur : ses bêtes se développent plus vite grâce à l’herbe abondante, tendre et riche en protéines. Second avantage de cet élevage vertueux : l’atténuation du changement climatique, et cela de deux façons distinctes. Le fourrage étant particulièrement digeste, les bovins émettront, par éructation, beaucoup moins de méthane, un gaz provoquant un effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2. En outre, les nombreuses et éphémères racines de ces graminées se décomposent dans le sol, y accumulant ainsi du carbone en quantité comparable aux sols forestiers.
Le troisième bénéfice tient à la restauration forestière. Pour améliorer efficacement ses pratiques, l’éleveur va se concentrer sur les zones les plus favorables de son exploitation, et abandonner celles où la production fourragère est peu efficace : les pentes, les ravines, les zones inondables. La nature y reprendra ses droits. « L’expérience montre qu’en Amazonie la forêt revient très vite. Des couloirs forestiers se développent et se connectent entre eux en fonction de la topographie ce qui crée des trames efficientes pour trois services écosystémiques, décrit René Poccard-Chapuis. D’une part, la biodiversité circule mieux et bénéficie d’un habitat de qualité. D’autre part, les sols pentus sont protégés de l’érosion, évitant ainsi l’ensablement des cours d’eau. Enfin, en saison sèche, ces forêts situées dans les ravines et zones humides “transpirent” plus. Elles contribuent à maintenir une humidité relative dans l’atmosphère qui limite le risque d’incendie ». Les forêts seront restaurées là où elles sont les plus utiles et la population d’éleveurs verra ses revenus s’améliorer.
Un prêt et des pratiques qui doivent faire leurs preuves
« L’élevage s’est développé en Amazonie sur la base de pratiques minimalistes. Les éleveurs ne construisent pas ou peu de barrières pour coordonner la pâture et l’usage du feu en saison sèche pour éliminer les mauvaises herbes provoque des incendies dévastateurs, complète le chercheur. À terme, ce prêt vert s’adressera donc en priorité à ces éleveurs traditionnels, mais il doit d’abord faire ses preuves ». C’est pourquoi il fait l’objet d’une phase pilote d’un an — co-construite et cofinancée par le Cirad — au cours de laquelle seuls 10 éleveurs qui maitrisent bien leur activité seront inclus.
À l’issue d’une formation obligatoire, l’éleveur débutera ses investissements en clôtures, auges à sel, abreuvoirs, graminées, nouvelles têtes de bétail, etc. Il sera ensuite accompagné dans sa démarche, mais aussi évalué. À cette fin, la banque a mis en place un système de Monitoring Reporting Verifying (soit mesure, notification et vérification, MRV). « Tous les deux mois, l’éleveur enverra à la banque des photos de sa gestion des pâturages. Chaque année, un technicien payé par la banque se rendra sur place pour une vérification plus approfondie. Enfin, une surveillance constante par satellite sera effectuée », précise René Poccard-Chapuis.
Cette démarche permettra de mesurer en toute transparence les performances agronomiques, sociales et environnementales des nouvelles pratiques, et donc du prêt. « Enfin, la sélection initiale des clients, puis le système de monitoring empêcheront toute déforestation de forêt primaire, même si l’État le permet », souligne le géographe.
Il est trop tôt pour juger de l’efficacité de ce produit financier innovant. Néanmoins, René Poccard-Chapuis est confiant : « si les agriculteurs amazoniens brésiliens sont convaincus par les vertus de ces bonnes pratiques, ils produiront plus de viande, dans des paysages mieux organisés. Leur bilan carbone deviendra positif et pourra, s’il est suffisamment élevé, être monnayé ».
* La Banque d’Amazonie (Banco da Amazônia) gère des fonds instaurés par la constitution brésilienne en 1988 et alimentés par un impôt prélevé dans les états du Sud et du Sud-Est (les plus développés). Ces fonds sont utilisés sous forme de prêts bonifiés pour le développement des régions plus pauvres comme l’Amazonie.