Science en action 9 avril 2024
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En Amazonie, la forêt peut reconquérir les paysages grâce à une meilleure gestion du territoire et de meilleures pratiques agricoles
En 2015, la commune de Paragominas au Brésil a connu des incendies dévastateurs : 183 000 hectares de forêts sont partis en fumée. Cette perte, en seulement quelques mois, a été aussi dévastatrice que la déforestation accumulée des 15 années précédentes. Si des feux de forêt d’une telle ampleur sont aujourd’hui très rares à Paragominas, la tendance générale en Amazonie et dans le monde est à la hausse. Les décennies de déforestation et de dégradation ont gravement affecté les écosystèmes et rendus les forêts de plus en plus vulnérables aux sécheresses, et donc aux incendies.
Pour lutter contre ce risque croissant et préserver le couvert forestier, sans pour autant sacrifier le développement économique et social, les chercheurs du Cirad accompagnent les acteurs locaux dans une meilleure gestion de leur territoire. Il s’agit de repenser l’organisation spatiale des paysages, en combinant surfaces agricoles et surfaces forestières en fonction des aptitudes spécifiques du milieu. « L’agencement spatial des usages des sols a un rôle critique sur la productivité, le cycle et la qualité de l’eau, le recyclage et les flux de nutriments, le stockage de carbone, la biodiversité, le contrôle des bioagresseurs, » selon René Poccard Chapuis, géographe au Cirad et coordinateur du site pilote de Paragominas, dans le cadre du projet TerrAmaz, qui ambitionne de concilier transition agricole durable, préservation de la forêt et inclusion sociale.
Une cartographie des zones favorables ou non à l’intensification durable des systèmes agricoles et d’élevage est établie avec une série d’indicateurs qui permettent d’évaluer la durabilité du mode de développement du territoire.
Cartographier l’usage des sols sur le territoire et améliorer les pratiques agricoles
Pour le maire de Paragominas, Paulo Pombo Tocantins, le défi n’est plus de lutter contre la déforestation qui est maîtrisée, mais bien « d’organiser les paysages de manière efficiente, en fonction des aptitudes du sol : aptitudes pour intensifier la production agricole, et aptitudes pour que la couverture forestière puisse efficacement protéger les sols, protéger le cycle de l’eau, protéger la biodiversité, et stocker du carbone...» Une loi d’usage des sols est en cours d’élaboration sur la commune.
Le Cirad aide la commune à identifier ces zones, avec les acteurs locaux. « Sur des zones déjà déforestés, nous proposons des pratiques agricoles durables qui améliorent le rendement des cultures,explique René Poccard-Chapuis. Plutôt que de choisir une intensification par des intrants chimiques, on encourage une transition vers les pratiques écologiquement intensives. » Ces dernières années ont ainsi vu le développement à Paragominas de nouvelles pratiques de gestion des pâturages, de cultures mécanisées comme le maïs, le sorgho ou le soja, plusieurs cultures pérennes (cacao ou fruitiers), ou encore des systèmes agro-forestiers.
« Nous encourageons, en parallèle, les populations à laisser les zones défavorables à l’agriculture en friche, et en mesurons les effets sur le cycle de l’eau, du carbone, sur la biodiversité. » Dans ces zones, les activités agricoles ou d’élevage sont donc abandonnées et la forêt se régénère à un rythme plus ou moins rapide selon l’histoire de la parcelle (compaction du sol par exemple) et la configuration du paysage (proximité d’arbres disséminateurs). Selon Lilian Blanc, écologue forestier au Cirad, « l’apparition de ces nouvelles forêts, appelées forêts secondaires, ne visent pas simplement à augmenter la surface forestière de la municipalité, mais elles doivent surtout contribuer à améliorer certains services écosystémiques, comme la limitation de l’érosion des sols ou une plus grande connexion des massifs forestiers. »
Un travail rendu possible par les contrôles de l’Etat et des autorités locales
Si cette double démarche d’intensification des pratiques agricoles et de restauration forestière fonctionne à Paragominas, c’est que les agriculteurs ne cherchent plus à agrandir la surface agricole utile de leur exploitation. Paragominas est la première commune brésilienne à avoir mis en place un cadastre officiel sur la quasi-totalité de son territoire, permettant entre autres le suivi systématique des exploitations agricoles. Grâce au suivi satellitaire national et à une coordination des autorités locales et des filières, la police peut ainsi identifier l’auteur de toute nouvelle déforestation, et empêcher la commercialisation des produits de cette exploitation.
« En empêchant toute nouvelle déforestation, les autorités obligent indirectement les agriculteurs à s’adapter et à intensifier leur production sur les surfaces agricoles qu’ils possèdent déjà, » indique René Poccard-Chapuis.
Ces travaux - menés en collaboration avec l’Embrapa, l’Université Fédérale du Pará, l’Université Rurale d’Amazonie - ouvrent de nouvelles perspectives pour le territoire : la construction d’un label territorial de développement durable, ou encore la mise en place d’une zone d’approvisionnement « zéro-déforestation » pour les filières responsables.
La commune de Paragominas a été sélectionnée comme l'un des cinq modèles innovants étudiés au sein du projet TerrAmaz . Au cours de ce projet financé par l'AFD, le Cirad et ses partenaires vont étudier et accompagner le déploiement de ce type de démarches pour concilier agriculture durable et préservation des ressources forestières en Amazonie. « A Paragominas, une démarche de certification territoriale sera notamment mise en place pour évaluer de façon transparente les progrès des territoires qui s’engagent, les valoriser et y renforcer les investissements responsables , » précise Marie-Gabrielle Piketty, directrice du projet.
Chiffres de déforestation de l’Amazonie brésilienne : une réalité très contrastée Les chiffres avancés par l’INPE annoncent une déforestation de 11 088 kilomètres carrés sur toute l’Amazonie légale brésilienne, entre août 2019 et juillet 2020. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2008. C’est aussi la troisième année consécutive de hausse depuis 2017 : 8 % en 2018, de 25 % en 2019, et de près de 10 % en 2020. Selon René Poccard du Cirad, « l’augmentation de la déforestation en Amazonie « légale » masque en réalité un très fort contraste géographique. Il existe une Amazonie qui augmente ses déforestations, à un rythme beaucoup plus élevé qu'ailleurs, et une Amazonie qui cesse de déforester. » En effet, la hausse observée en 2020, de près de 10 % (correspondant à 959 km2 sur toute l’Amazonie Brésilienne), est concentrée dans le seul Etat du Pará. Les variations dans les autres Etats sont proches de la stabilité, certains légèrement positifs (Amazonas, Mato Grosso), d’autres négatifs ou stables. « Si on descend au niveau des communes, seul un petit nombre, au sein de l’Etat du Pará, est responsable d’une grande partie de la déforestation, » ajoute René Poccard. Les deux communes de Altamira et São Félix do Xingú sont responsables à elles seules de plus de 30 % des déforestations duPará. Certaines communes, comme Paragominas, au contraire, maintiennent une déforestation très faible : 10,75 km2 en 2020, selon les premiers chiffres de l’INPE. |
Pour en savoir plus
'Municipios Verdes': from zero deforestation to the sustainable management of natural resources in the Brazilian Amazon . In : Living territories to transform the world. 2017 Caron Patrick (ed.), Valette Elodie (ed.), Wassenaar Tom (ed.), Coppens D'Eeckenbrugge Géo (ed.), Papazian Vatché (ed.). Versailles : Ed. Quae, 54-57.