Science en action 4 mars 2024
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Énergie, stockage de carbone et restauration des sols : le biochar est-il un produit miracle ?
Le biochar c’est du carbone pur et très stable dans le temps. Quel meilleur moyen de stocker le CO2 atmosphérique que sous cette forme concentrée et inerte ? Le Giec à même qualifié le biochar de technologie d’émission négative indispensable pour conserver une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.
Le biochar peut être produit à partir de n’importe quelle matière végétale qui est chauffée sans oxygène entre 300 °C et 700 °C, une réaction appelée pyrolyse ou carbonisation. Le charbon de bois utilisé pour les barbecues, par exemple, peut être assimilé à du biochar. Mais ce matériau offre bien d’autres applications que la seule production d’énergie. Incorporé dans les sols, il permet d’en améliorer la structure, de réduire l’acidité, de retenir l’eau au niveau des racines et même de lutter contre certains insectes ravageurs des cultures. Autre application, le biochar possède d’excellentes propriétés de filtration et de décontamination, une fois activé pour le rendre plus poreux. Il peut donc également être utilisé pour rendre de l’eau potable ou filtrer des boues de station d’épuration.
30 ans d’expertise globale sur le biochar et ses applications
Le Cirad est un expert du biochar depuis plus de 30 ans. « À l’époque, nous étions pionniers dans la recherche sur la biomasse-énergie, explique Patrick Rousset, chercheur spécialiste du bois énergie au Cirad. Cette longue expérience nous confère aujourd’hui encore une reconnaissance mondiale sur les procédés de fabrication et de caractérisation des biochars. »
« Notre expertise se situe autant à l’échelle industrielle qu’à celle des petites unités de transformation autonomes adaptées aux contextes ruraux du Sud et qui fabriquent du biochar à partir de résidus de culture, complète Alfredo Napoli, chercheur en génie des procédés au Cirad. Elle s’étend ensuite aux collègues agronomes qui mènent des essais en champs pour tester l’impact de l’épandage sur la productivité des cultures, la structure du sol, sa biologie… » Fort de cette expertise multidisciplinaire unique et avec la popularité grandissante du Biochar, le Cirad intervient dans une multitude de projets très variés permettant de produire des recherches appliquées.
Produire de l’énergie qui stocke du carbone
Une réaction de pyrolyse de biomasse produit en moyenne 30 % de biochar et 70 % de gaz très polluants qui peuvent, et même qui doivent, être brulés pour produire de l’énergie. Cette énergie peut d’ailleurs être partiellement utilisée pour autoalimenter la pyrolyse. On comprend dès lors le potentiel de captation du carbone qui résulte de cette réaction de carbonisation. C’est pour cela qu’elle est l’une des cinq voies étudiées par le projet Cronus. L’objectif de ce projet Horizon Europe (2022-2026) est ambitieux, mais laisse rêveur : produire de l’énergie avec une empreinte carbone globale négative. Cette énergie proviendrait de gaz biogéniques, c’est-à-dire issus de biomasses pour exploiter le CO2 emmagasiné par les plantes grâce à la photosynthèse. Alfredo Napoli pilote la voie de la pyrolyse dans le projet Cronus. « C’est un concept qui fonctionne on le sait, mais il n’est opérationnel qu’à une échelle industrielle et à partir de bois. L’idée est de pouvoir l’appliquer de manière autonome et au cas par cas, en fonction des résidus de biomasse disponibles, des capacités et des besoins. »
Des résidus de culture valorisés en Biochar…
Intégrés dans une logique d’économie circulaire, les déchets agricoles peuvent être une vraie mine d’or. C’est sur la base de ce postulat qu’œuvre le projet européen Bio4Africa (2021-2025). « Nous avons développé un procédé de fabrication de biochar, en partenariat avec l’Universidade Federal de Viçosa au Brésil, pour trois usages : améliorer les sols agricoles, produire des briquettes à vocation énergétique et concevoir des filtres de charbon actif pour potabiliser l’eau », explique Patrick Rousset. Cette dernière application est justement l’objet de la thèse que mène actuellement Landry Koffi au Cirad. « Je cherche des procédés que les agriculteurs pourront facilement s’approprier pour le produire sur place en Afrique », explique le doctorant qui teste actuellement du biochar fabriqué à partir de coques d’arachide et de cabosses de cacao.
À Madagascar, le projet européen Dinaamicc financé dans le cadre du programme Desira, est coordonné par le Cirad. Il travaille avec le Ceffel, un centre d’expérimentation et de formation malgache qui a justement démarré des études sur le biochar. « Tout est parti d’un besoin des producteurs membres du Fifata, une organisation paysanne, pour mieux valoriser les balles de riz qui sont des résidus de culture très abondants, explique Andry Rasamimanana, responsable du Ceffel. Les producteurs ont essayé d’en faire du compost et du lombricompost, mais la balle de riz se décompose difficilement. Toujours dans l’optique d’améliore les sols, nous avons eu l’idée de les transformer en biochar. » La pratique habituelle pour se débarrasser des tas de balle de riz est de s’en servir comme combustible, par exemple dans des fours à briques, puis d’amender les sols avec la cendre. Mais cette pratique est moins bénéfique pour les sols que les apports de biochar, sans compter qu’elle relâche du carbone au lieu d’en stocker.
« Comme toutes innovations, des études doivent être réalisées afin d’avoir des références technico-économiques à ce sujet pour avoir, à la fin, un vrai outil d’aide à la décision pour les producteurs, ajoute Andry Rasamimanana. D’où l’étroite collaboration avec Cirad et l’agri-agence Fert dans la caractérisation des biochars produits et l’amélioration de méthode de pyrolyse pour être moins polluantes et plus productives. »
… pour une économie circulaire
Alain Ratnadass est entomologiste agricole au Cirad. Il s’intéresse à une autre application potentielle des biochars riches en silices : la lutte contre des ravageurs des cultures. Il a coordonné une revue de la littérature sur ce sujet. Après des tests aux résultats prometteurs au laboratoire et en serre, en partenariat avec le Fofifa et l’université d’Antananarivo, sur financements européens, et de la Région et de la Préfecture de La Réunion, des essais vont démarrer en plein champ à Madagascar et à la Réunion.
À la Réunion, un autre projet impliquant du biochar à démarré récemment. Ecopal est financé par l’Ademe pour tester la valorisation des bois de palettes en biochar à vocation de substrat agricole. Les premiers tests viennent de s’achever le mois dernier. Reste à caractériser le biochar produit et à analyser la pertinence de la filière sur le territoire.
Du biochar pour restaurer les terres dégradées…
Le projet Fenix (Innovations pour l’amélioration des sols à partir de biodéchets) est soutenu par le programme Horizon Europe de la Commission européenne. Il va permettre de transformer des biodéchets en amendement pour améliorer la fertilité des sols agricoles tout en stockant du carbone.
« Ce projet est vraiment motivant, car il associe trois objectifs majeurs pour l’humanité : l’amélioration de la production agricole en rétablissant la fertilité de sols dégradés, la lutte contre le changement climatique et l’utilisation vertueuse de déchets organiques, qui deviennent néfastes pour l’environnement s’ils ne sont pas valorisés », s’enthousiasme François Pinta, chercheur au Cirad et responsable du projet au sein de l’unité Biowooeb. L’amendement qu’ambitionne de produire le projet Fenix associe du biochar avec du digestat, sous-produit de la filière biométhane. Le Cirad est en charge de l’élaboration de plus de 30 biochars issus de 4 types de déchets verts dans différentes conditions de pyrolyse. Il est responsable de leur caractérisation selon la norme de l’EBC (european biochar certificate). « C’est une étape importante pour connaitre les propriétés recherchées en termes de minéraux fertilisants, de pH, et de capacité de rétention en eau par exemple, précise François Pinta. Cela permet aussi de vérifier l’absence de polluants tels que des substances cancérigènes ou des métaux lourds néfastes pour la santé des êtres vivants. »
… ou stocker du carbone dans les routes
Le potentiel du biochar pour stocker du carbone est exploré d’une manière innovante dans le projet RizRoute (Fondation Ferec). Il visait à tester la valorisation de coproduits rizicoles dans les liants bitumineux pour la séquestration carbone. Ce petit projet d’un an mené avec le Cerema, TotalEnergies OneTech et le Cirad a eu des résultats très concluants. Incorporer seulement 5 % de biochar produit à partir de balle et de paille de riz dans du bitume réduit de 50 % l’empreinte carbone de la filière. Alfredo Napoli, qui a participé au projet, est enthousiaste : « si on arrive à incorporer 10 % de biochar ou plus, la filière deviendrait neutre, voire à impact carbone négatif. »
La manifestation la plus emblématique du biochar se trouverait dans la « terra prêta » (terre noire en Portugais). Ces parcelles particulièrement fertiles se situent au cœur de l’Amazonie, tout près de terres très dégradées. L’analyse de cette « terra prêta » a révélé qu’il y a plus de 2 000 ans les Indiens d’Amazonie pratiquaient l’enfouissement de biochar dans le sol maintenant le fort potentiel de fertilité de ces parcelles jusqu’à aujourd’hui.