Regard d'expert 19 mars 2024
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Quelles pistes pour freiner la déforestation importée ?
La France importe 20 % de son alimentation et cette part est croissante. Parmi ces produits agricoles figurent des denrées – huile de palme, bœuf, cacao, café, soja… – responsables de déforestation dans les pays qui les produisent ; c’est ce que l’on appelle la déforestation importée.
Si les surfaces forestières sont en hausse en France, principalement du fait de la contraction de l’espace agricole, il faut relativiser cette bonne nouvelle par les pertes de surfaces forestières que nos importations agricoles croissantes induisent dans les pays tiers. Ces pertes délocalisées de forêts représentent environ un tiers du gain de surfaces forestières sur le territoire métropolitain.
Le cas français est loin d’être unique. Au niveau mondial, on peut schématiquement distinguer les zones tropicales qui perdent massivement leurs forêts (-10 millions d’hectares par an selon le dernier rapport sur les ressources forestières de la FAO) et les zones tempérées qui gagnent des surfaces forestières (+5 millions d’hectares par an).
1/3 de surfaces déforestées par le commerce international
Sur les 10 millions d’hectares de forêts perdus chaque année, un peu moins des deux tiers peuvent être attribués à l’expansion agricole de manière univoque, le gros tiers restant correspondant à la conjonction de causes multiples (feux de forêt, exploitation forestière…).
Environ la moitié de cette déforestation univoquement liée à l’expansion agricole (soit environ un tiers des surfaces forestières perdues) est liée au commerce international. En luttant contre la déforestation importée, il est donc possible de lutter significativement contre la déforestation.
La France s’est dotée dans ce but en 2018 d’une stratégie nationale (SNDI). Avec huit autres pays européens, elle est membre du Partenariat des déclarations d’Amsterdam.
La communication de la Commission européenne sur la protection et la restauration des forêts de la planète évoque clairement le problème, tandis que le Parlement européen s’est penché sur le cadre légal.
Il y a forêt et forêt
Lutter contre la déforestation importée implique de savoir quantifier le phénomène et le suivre.
Les bois tropicaux d’Afrique peuvent ainsi passer par la Chine où ils sont transformés avant d’être importés en Europe. Ce sont donc des chaînes de traçabilité complexes qu’il s’agit mettre en place, avec l’appui des douanes et des intermédiaires privés des filières.
À cela s’ajoutent des questions de temporalité. À partir de quel moment un déboisement peut-il être considéré comme « prescrit » et les produits issus de cet espace déconnectés de la déforestation ? Le cacao de Côte d’Ivoire issu des cacaoyères qui ont remplacé des forêts détruites dans les années 2000 doit-il encore être compté au passif de la déforestation importée ?
Une autre question, plus fondamentale car elle conditionne le concept même de déforestation, se pose : qu’est-ce qu’une forêt ?
La définition technique d’une forêt (distincte de sa définition juridique) repose grosso modo sur deux notions : l’usage du sol et le couvert arboré. Un terrain peut avoir un usage forestier en ayant un couvert arboré nul (juste après un incendie de forêt) et, inversement, un terrain peut avoir un couvert fermé sans avoir d’usage forestier (une plantation de palmier à huile).
Dégradation des forêts
Il est nécessaire également d’introduire le concept de dégradation des forêts. Celle-ci se définit comme la réduction de la capacité de la forêt de fournir des biens et des services, ce qui se traduit par une réduction de la densité de la biomasse des arbres. Les pays définissent la forêt en fixant leur propre seuil de couvert arboré. Il en résulte plusieurs centaines de définitions.
Pour la déforestation importée, le choix de ce seuil est critique. S’il est bas, une forte dégradation forestière peut se produire sans que cette transformation soit qualifiée de déforestation. S’il est élevé, la conversion en terres agricoles qui ont toutes les caractéristiques écologiques de forêts pourrait ne pas être considérée comme de la déforestation.
Beaucoup d’activités productives durables, comme l’exploitation sélective du bois, entraînent une dégradation de la forêt. Mais, dans le cadre d’une bonne gestion forestière, cette dégradation reste limitée et réversible. Il en va de même pour certaines formes d’agroforesterie (comme le cacao sous ombrage forestier) ou la collecte de bois de feu dans les forêts sèches.
L’enjeu, alors, n’est pas de vouloir éviter toute dégradation, mais de maîtriser les facteurs qui la provoquent afin de la contenir dans des limites viables. Les cadres réglementaires (et les certifications indépendantes) doivent être mobilisés à cet effet.
Ces différentes questions, qui semblent techniques au premier abord, renvoient à des choix normatifs qui sont du ressort des politiques et de la légalité.
Déforestation légale et illégale
Il nous semble ainsi nécessaire de devoir distinguer déforestation illégale et légale, en nous appuyant sur le règlement bois de l’Union européenne (RBUE) qui a interdit l’importation de bois récolté illicitement.
Différencier légal et illégal est politiquement plus faisable qu’un boycott de productions agricoles associées à une déforestation légale dans le pays producteur, mais jugée écologiquement problématique. Le risque serait, pour l’UE, de s’exposer à des représailles commerciales s’il y a interdiction d’entrée de productions agricoles légales, sans compter les plaintes à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour discrimination commerciale.
L’idéal serait que les pays producteurs et les pays importateurs s’entendent sur des définitions communes de la forêt (adaptées à chaque biome) et sur des dates de référence après lesquelles le déboisement ne peut être prescrit. Mais ceci constituera un processus long et difficile.
Tarifs douaniers modulés
Il semble plus réaliste d’interdire l’entrée de produits agricoles issus de la déforestation illégale et de moduler les tarifs douaniers en fonction de l’information et des garanties que les acteurs des filières apportent pour prouver que leur production est « zéro déforestation ».
On peut s’inspirer du principe du RBUE qui impose une diligence raisonnée aux importateurs pour s’assurer que le bois mis en marché ne provient pas de sources illégales.
Puis de compléter cette obligation par l’utilisation de droits de douane différenciés, basés sur des certifications indépendantes intégrant des critères zéro déforestation. Ces certifications seraient agréées par les pouvoirs publics et feraient l’objet d’un processus d’évaluation continue.
La Suisse vient d’ouvrir la voie via un accord avec l’Indonésie qui abaisse les tarifs douaniers de 20 % puis 40 % pour l’huile de palme certifiée (on compte trois standards agréés).
Certifications zéro déforestation
L’insuffisance actuelle d’offre de certification zéro déforestation pour quelques filières peut être une difficulté. Mais cette situation évolue.
Depuis 2018, des certifications comme RSPO (huile de palme) ou Rainforest Alliance (cacao et d’autres commodités) ont intégré de tels critères.
On peut gager que d’autres certifications vont leur emboîter le pas. Et la demande des entreprises sera nettement plus pressante si la perspective d’une mise en place d’une fiscalité différenciée aux frontières de l’UE se précise.
Pour les pouvoirs publics, ce serait une manière de contribuer à l’évolution des certifications privées, dans la mesure où ils pourraient labelliser celles qui intègrent une approche zéro déforestation correspondant aux critères européens et dont les dispositifs de vérification sont jugés crédibles.
Diligence raisonnée
Dans tous les cas, il sera nécessaire que les importateurs se soumettent à l’exigence légale de diligence raisonnée pour s’assurer que le produit n’est pas issu d’une déforestation illicite.
Des dispositifs d’information permettant la gestion du risque seront utiles : un importateur pourra décider de ne pas s’approvisionner dans une zone à risque. Si l’information est insuffisante et que l’importation a lieu, il faudra que l’importateur, non seulement s’acquitte de son obligation de diligence raisonnée, mais qu’il puisse également démontrer que son produit n’intègre aucune déforestation afin de bénéficier d’un tarif douanier favorable.
L’enchaînement logique serait le suivant :
- Si la diligence raisonnée suggère un risque élevé d’illégalité, alors l’importateur responsable renonce à mettre en marché la cargaison concernée.
- Si la diligence raisonnée est concluante (risque nul ou négligeable d’illégalité), mais que le produit n’est pas certifié zéro déforestation, alors il se voit appliquer un tarif douanier plus élevé.
- Si la diligence raisonnée est concluante et que le produit est certifié zéro déforestation, alors il se voit appliquer un tarif douanier favorable. Une certification zéro déforestation doit intégrer également la garantie de légalité, donc faciliter la diligence raisonnée.
Soutenir des pratiques durables chez les petits producteurs
Actuellement, beaucoup de tarifs douaniers bénéficient de taux à 0 %, comme le soja, le caoutchouc naturel ou le cacao. Introduire un différentiel fiscal entre les productions zéro déforestation et les autres passera par une hausse de certains tarifs.
Les recettes fiscales supplémentaires pourraient être affectées au financement de programmes destinés à aider les petits producteurs des pays exportateurs à évoluer vers des pratiques durables et parvenir à être certifiés. Cette affectation permettrait de réfuter des accusations de protectionnisme et constituerait un gage de « bonne foi » pour défendre cette mesure à l’OMC.
Et, comme pour toute fiscalité écologique, l’objectif serait que le rendement de cette taxation à l’importation soit décroissant, c’est-à-dire que l’Europe n’importe plus, à terme, que des produits certifiés zéro déforestation.
Nicolas Picard, directeur du GIP Ecofor, chercheur en sciences forestières, à INRAE est co-auteur de cet article.