La mouche tsé-tsé peut transmettre par piqûre une maladie parasitaire provoquée par les trypanosomes. Chez l’homme, cela se traduit par la « maladie du sommeil », qui affecte le système nerveux central. Elle entraîne des troubles sensoriels et en l’absence de traitement, peut se révéler mortelle.
Chez les bovins, la maladie, qui peut être mortelle, provoque une baisse de la fertilité et une perte de poids des animaux. Il en résulte un recul de la production de viande et de lait et un affaiblissement des animaux qui ne peuvent dès lors plus servir aux labours ou au transport.
Plus de 40 ans de recherche sur la mouche tsé-tsé
Pour toutes ces raisons, la mouche tsé-tsé est au cœur de projets de recherche depuis plus de quarante ans. Le Cirad et l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) ont posé les bases dans les années 1970 de la technique de l’insecte stérile (TIS), qui vise à stériliser puis éliminer les populations sauvages. Les campagnes de lutte qui ont été menées dans les années 1970-1980 ont permis de diminuer les populations de vecteurs, mais sans éradication. Des populations résiduelles de mouches se sont reconstituées, et la maladie est réapparue, représentant l’un des principaux freins à l’intensification de l’élevage.
Dans les années 2000 a été lancée la campagne panafricaine pour l’élimination des mouches tsé-tsé et des trypanosomes (Pattec). En 2007, la direction des services vétérinaires et l’AIEA lancent le projet d’éradication au nord-ouest du Sénégal, dans les Niayes.
Cibler une population de mouches
Les responsables du projet ont défini une zone cible, particulièrement affectée.
La première étape a consisté à caractériser génétiquement cette population de mouches tsé-tsé sur la zone, en collectant des données entomologiques et génétiques. Pendant cette phase, les méthodes développées par les chercheurs de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) et du Cirad ont permis d’importants progrès, réduisant par exemple les coûts d’échantillonnage de plus de 90 % lors de l’identification de la population cible.
Le projet s’est poursuivi par des études socio-économiques et des enquêtes sur les troupeaux, permettant la mise en place d’une stratégie d’éradication. À partir de 2012, les équipes ont ensuite analysé le comportement des mouches, leur densité, leur dispersion, l’impact des insecticides, etc.
L’optimisation d’une technique qui a déjà fait ses preuves
Le programme utilise une technique d’irradiation pour stériliser les mouches mâles, permettant ainsi la réduction des populations globales de mouches dans la zone. Dans des zones où des opérations de suppression des mouches ont été réalisées au préalable, ces lâchers permettent d’anéantir les dernières mouches sauvages par la stérilisation des dernières femelles sauvages.
Avant son utilisation dans la région des Niayes, deux projets, l’un au Burkina Faso, l’autre à Zanzibar, avaient démontré la faisabilité de l’éradication en utilisant cette technique.
Le projet des Niayes a été l’occasion pour les chercheurs du Cirad, de l’Isra et de l’AIEA d’améliorer et d’optimiser cette technique de l’insecte stérile en particulier avec le lâcher réalisé automatiquement à partir d’un gyrocoptère.
Une coordination et un financement réactifs
Parallèlement, le programme a innové dans son organisation en mettant en place une cellule de coordination regroupant scientifiques et services vétérinaires. Cette cellule échangeait sur une base mensuelle, permettant une forte réactivité aux difficultés rencontrées au cours du projet d’éradication.
Ce programme a bénéficié d’un financement qui dépendait du succès de chacune de ses phases. L’AIEA a financé l’étude de faisabilité, menée entre 2007 et 2010, puis la phase préopératoire en 2011.
Au vu des résultats, elle a défini ce projet comme projet prioritaire dans son Initiative d’utilisation pacifique du nucléaire (PUI), décision qui a conduit le département d’État américain à participer au financement des phases suivantes, à partir de 2012. Environ 30 % du budget est consacré à la recherche opérationnelle.
Les scénarios pour atteindre les impacts espérés
Alors que le projet est toujours en cours, les chercheurs ont utilisé un outil de modélisation pour simuler son impact à 2030, à partir de nombreuses données déjà récoltées sur les impacts sanitaires, socio-économiques et environnementaux du projet.
Au départ, les chercheurs conçoivent des scénarios en tenant compte des expériences menées à Zanzibar dans les années 90 et en s’appuyant sur des entretiens approfondis réalisés avec une dizaine d’éleveurs de la zone des Niayes.
Les chercheurs émettent alors l’hypothèse que l’éradication de la mouche tsé-tsé dans les Niayes va favoriser l’innovation dans les élevages, permettant aux éleveurs de s’affranchir des races trypanotolérantes peu productives pour cibler des races plus productives. Ces nouvelles races vont alors leur permettre de réduire la taille des troupeaux, un enjeu important dans un contexte de pression foncière.
L’atelier participatif, et notamment le focus group avec les éleveurs, permet non seulement de valider ces hypothèses, mais surtout de les préciser en quantifiant la vitesse d’évolution attendue de ces scénarios.
Cette collaboration recherche-éleveurs a aussi permis une meilleure prise en compte des autres facteurs entrant en ligne de compte dans l’évolution de l’élevage sur la zone : la pression foncière, les vols, les mortalités liées à l’ingestion des plastiques.
La mesure des impacts
Pour mesurer les impacts de ce projet pendant son déroulement, les services vétérinaires régionaux ont adapté leurs pratiques, et les chercheurs et agents du développement ont développé entre eux une communication régulière.
L’éradication de la mouche tsé-tsé est l’impact intermédiaire fondamental du projet, mais celui-ci va bien au-delà. La réduction de la densité des mouches tsé-tsé a été mesurée par un système entomologique de surveillance. Cette réduction a déjà provoqué une diminution importante de la maladie, ce qui a été mesuré par le suivi annuel de trois « troupeaux sentinelles ». Cela a également été attesté par les entretiens menés dans le cadre du projet et lors de l’atelier participatif.
Une enquête socio-économique a également révélé d’ores et déjà deux impacts significatifs : la réduction de la proportion des races trypanotolérantes dans les troupeaux et la réduction des surfaces cultivées. On assiste également à une diminution de la taille des plus grands troupeaux et à une augmentation de la taille des plus petits. D’autres enquêtes similaires seront organisées dans le futur pour suivre ces impacts et les systèmes sentinelles sont toujours suivis.
Ce projet a également un impact important en termes institutionnel grâce à la mise en place de la cellule de coordination regroupant chercheurs et services vétérinaires. Cette organisation a modifié le fonctionnement de ces services vétérinaires, en favorisant une adaptation en temps réel de leur fonctionnement au projet et un renforcement des compétences.
Les impacts plus larges
La technique de l’insecte stérile et sa mise en œuvre contre les mouches tsé-tsé selon les principes de ce projet ont déjà été diffusées à d’autres pays comme l’Éthiopie. Elles ont également permis d’élaborer une nouvelle stratégie de lutte contre les moustiques, qui sera bénéfique à l’ensemble de la planète.
Ce projet a également incité les services vétérinaires et les chercheurs à renforcer leur collaboration pour gérer d’autres maladies animales (fièvre de la vallée du Rift, peste équine, peste des petits ruminants).
Enfin, ce projet a contribué à valoriser, à l’échelle internationale, les utilisations pacifiques des applications nucléaires.