Résultats & impact 2 avril 2024
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Les viromes de plus de 3000 rongeurs passés au crible pour identifier les risques et zones d’émergences en Asie du Sud-Est
La fièvre hémorragique Chapare, qui a causé la mort d’au moins trois boliviens fin 2020, prend son origine chez des rongeurs. Ces mammifères, porteurs de nombreux virus zoonotiques, font l’objet d’une attention accrue chez de nombreux spécialistes des maladies émergentes. Une équipe internationale de chercheurs vient de réaliser une avancée majeure en la matière, en publiant les viromes, soit le matériel génétique des virus (ADN ou ARN), de plus de 30 espèces de rongeurs et d’insectivores d’Asie du Sud-Est. Ce travail fait écho au rapport de l’IPBES sorti le 29 octobre 2020, qui affirme que plus de 800 000 virus potentiellement dangereux pour l’être humain resteraient encore à découvrir.
Etablir un inventaire des virus chez les rongeurs
Pendant douze ans, de 2006 à 2018, les chercheurs ont collecté les échantillons de tissus pulmonaires de 3284 rongeurs, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge. Un travail de séquençage des ADN des virus présents a ensuite été effectué par l’Académie de médecine chinoise.
« Nous avons retrouvé des virus déjà connus, notamment des hantavirus, des mammarenavirus ou des coronavirus, et confirmé le rôle de réservoirs de certaines espèces, commente Serge Morand, écologue de la santé au Cirad, co-auteur de la publication. Mais nous avons également découvert de nouveaux virus, sources potentielles de maladies infectieuses pour l’être humain. »
En plus de l’avancée des connaissances considérable que représente ce travail sur les virus, les échantillonnages ont été scrupuleusement stratifiés selon les milieux des trente espèces testées. Chaque rongeur est ainsi placé sur un gradient « forêt-agriculture-ville » selon son habitat de prédilection.
« Certains rongeurs sont des spécialistes, c’est-à-dire qu’ils ne s’établissent que dans des milieux particuliers : forêts, agriculture inondée, zone urbaine… D’autres rongeurs sont généralistes, c’est-à-dire qu’ils se développent aussi bien en ville qu’en campagne. Par exemple, le rat noir, et les autres espèces du complexe Rattus rattus, est une espèce invasive et très parasitée, explique l’écologue. Classer les animaux selon leur milieu permet d’identifier les zones d’émergence possible des virus qu’ils portent. »
Les fermes d’animaux sauvages au cœur du débat
L’émergence du SRAS en Chine en 2002, dont l’agent infectieux était passé de la chauve-souris à l’humain par l’intermédiaire de la civette, correspondait à une période de forte mise en élevage de cet animal sauvage dans plusieurs régions chinoises. Ce précédent, qui aurait dû servir d’exemple, n’a pas empêché l’essor récent de fermes d’animaux sauvages en Asie du Sud-Est. Ainsi, pour Serge Morand, connaître la circulation des virus au sein d’un territoire doit obligatoirement s’étudier en lien avec les interactions entre faunes sauvages et populations humaines.
« La mise en élevage des animaux sauvages augmente en Asie du Sud-Est, et apparaît bien plus dangereuse que la consommation de viande issue de la chasse, constate Serge Morand. Les données théoriques que nous venons de produire et de partager au reste de la communauté scientifique ne valent rien si l’on ne peut pas empêcher ces comportements . »
Dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, certaines espèces de rats des rizières sont mises en élevage car appréciées pour leur viande et sources de revenus complémentaires. Or ces exploitations, souvent familiales et de petites tailles, s’effectuent dans de mauvaises conditions sanitaires et éthiques, et ne bénéficient pas du suivi vétérinaire nécessaire. Les rongeurs sont souvent stressés par ce type d’environnement, ce qui amenuise leur réponse immunitaire, et sont en contact avec d’autres animaux ainsi que les humains qui les manipulent. Les risques de débordement d’agents pathogènes et d’émergence de maladies infectieuses y sont donc importants.
En mettant en lien les connaissances entre écologie des virus et pratiques agricoles sur un territoire, les chercheurs peuvent ainsi mettre en lumière des zones où les risques d’émergence sont plus élevés qu’ailleurs. Les dynamiques économiques et les interconnexions entre les territoires indiquent ensuite les potentielles voies de transmissions des virus à l’échelle régionale et mondiale. En Asie du Sud-Est, l’enjeu est d’autant plus pressant avec les nouvelles routes de la soie initiées par la Chine, ces routes commerciales qui visent à relier l’Asie du Sud-Est à l’Asie centrale puis au Caucase, pour arriver jusqu’en Europe.
Référence
Wu, Z., Han, Y., Liu, B. et al. 2021. Decoding the RNA viromes in rodent lungs provides new insight into the origin and evolutionary patterns of rodent-borne pathogens in Mainland Southeast Asia. Microbiome 9, 18.
Ce sujet vous intéresse ? Voir aussi cette publication sur les rotavirus des chauves-souris.
En savoir plus : Mathieu Bourgarel