Résultats & impact 2 avril 2024
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- Manque d'eau : que fait-on des eaux usées ?
Désalinisation, traitement des eaux usées : remettons l’avenir de l’eau au cœur des débats
Ensemencer les nuages pour créer des pluies artificielles, remorquer des icebergs depuis l’Antarctique pour abreuver les villes, arroser les cultures côtières avec une eau dessalée…. Les solutions pour lutter contre le stress hydrique, impensables il y a peu, ont investi les imaginaires et la gouvernance de l’eau. Parmi ces eaux dites « non conventionnelles », celles issues de la désalinisation et du traitement des eaux usées progressent rapidement et raflent les investissements. Si bien qu’initialement cantonnées aux pays du Golfe et à l’ouest des États-Unis, elles s’étendent depuis 20 ans à de nombreuses zones arides et régions côtières : Afrique du Nord, Espagne, façade pacifique de l’Amérique, Asie du Sud-Est, îles, etc.
Discours techno-triomphaliste
« Malgré les enjeux majeurs que cristallisent ces nouvelles ressources en eau, les regards scientifiques sur leurs impacts sociaux demeurent lacunaires, déplore Pierre-Louis Mayaux, chercheur en science politique au sein de l’unité de recherche G-EAU. Les discours techno-triomphalistes de ceux qui produisent et gèrent les eaux non conventionnelles restent dominants ». Face à ce constat, quelques voix scientifiques s’élèvent, à l’instar des auteurs de ce récent numéro spécial de la revue Water Alternatives. Arizona, Californie, Liban, Tanzanie, Colombie… Dix études de cas documentent les implications sociales et politiques complexes de solutions décidées dans des arènes technocratiques à l’accès restreint, et qui pourtant s’imposent à tous. Pour les auteurs de l’étude, il est urgent de « politiser ces eaux ». Comprendre : les mettre au cœur des débats démocratiques sur l’avenir de cette ressource vitale.
« Les processus de concertation et de délibération doivent être les plus précoces, transparents et inclusifs possibles, relève Pierre-Louis Mayaux, qui a co-coordonné la publication. Et s’autoriser à remettre en cause nos usages, au lieu de continuer coûte que coûte à produire toujours plus d’eau pour pérenniser des modèles néfastes ».
Face aux risques de mal-adaptation, des solutions au cas par cas
Le chercheur pointe, à titre d'exemple, les effets sociaux délétères des dynamiques de réallocation autour des eaux usées réutilisées. C’est ainsi qu’à Dar Es Salaam, de petits agriculteurs en zone péri-urbaine ayant recours à ces eaux pour l’irrigation pourraient être privés de leur ressource, suite à la création d’une unité de traitement et de périmètres irrigués officiels. Quant à l’île colombienne de San-Andrés, elle a abandonné un projet prometteur de collecte des eaux de pluie au profit d’une usine de dessalement destinée à approvisionner, prioritairement, les infrastructures touristiques.
La promesse d’abondance pour tous portée par ces projets se traduit souvent, dans les faits, par une perpétuation, voire une aggravation des inégalités. Loin de résoudre les crises socio-économiques et environnementales auxquelles elles prétendent s’attaquer, les eaux non conventionnelles, coûteuses à produire, peuvent parfois les alimenter. « C’est symptomatique de la mal-adaptation : on perd du temps pour s’attaquer aux racines du problème » analyse le scientifique, avant de conclure : « ces solutions peuvent s’avérer utiles au cas par cas. Il ne s'agit pas de s’y opposer par principe. L’essentiel est d’en débattre et de ne pas les considérer comme allant de soi ».
Référence
Williams Joe, Beveridge Christine, Mayaux Pierre-Louis. 2023. Unconventional waters: A critical understanding of desalination and wastewater reuse. Water Alternatives, 16 (2), n.spéc. Unconventional waters: A critical understanding of desalination and wastewater reuse : 429-443.