Longtemps oublié des négociations internationales sur le climat, le secteur agricole fait désormais partie intégrante des discussions : à la fois pour son rôle d’émetteur de gaz à effet de serre, de victime des perturbations climatiques, mais aussi son potentiel d’atténuation. Le Cirad a participé à cette reconnaissance internationale via l’action commune de Koronivia, adoptée en 2017 lors de la COP23.
Ecoutez Marie Hrabanski, chercheuse en sciences politiques au Cirad :
Les secteurs agricoles et alimentaires, à la fois responsables et victimes des changements climatiques
Les cultures seront principalement impactées par trois éléments climatiques : l’augmentation des températures, la hausse du CO2 atmosphérique, et les perturbations pluviométriques. Les derniers scénarios du GIEC ont donné lieu à de nouvelles études inquiétantes. A titre d’exemple, les rendements de riz pluvial au Sénégal risquent d’être divisés par deux d’ici 2100.
Les épisodes climatiques extrêmes, comme les sécheresses, devraient également se multiplier, avec des impacts négatifs immédiats sur les rendements agricoles, mais également sur les capacités d’absorption de carbone.
Une série d’études menée à l’échelle du continent européen, publiée en septembre 2020 dans Philosophical Transactions B, montre comment les milieux naturels et cultivés réagissent aux sécheresses. Les résultats révèlent qu’en 2018 les puits de carbone en Europe ont baissé de près de 20 %, et le rendement des cultures de 40 % au Nord et à l’Est de l’Europe. Le Cirad va développer ces approches dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique et Amérique du Sud, pour préciser les impacts des conditions climatiques extrêmes sur les productions et la sécurité alimentaire. L’objectif est de pouvoir mieux anticiper les effets du changement climatique en agriculture pour s’y adapter.
A l’autre bout de la chaîne, les pertes et gaspillages alimentaires sont responsables de 10 % des gaz à effet de serre mondiaux.
30 à 40 % de la nourriture produite dans le monde serait perdue ou gaspillée. Ce chiffre hallucinant englobe les pertes depuis le champ jusqu’aux poubelles des consommateurs, en passant par les transports, la transformation et la distribution. Dans un monde aussi incertain, nous ne pouvons plus nous permettre autant de gâchis. D’autant qu’il pèse pour 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Au Cirad, cette question décisive traverse plusieurs de nos projets de recherche. En voici quelques exemples.
Repenser l’usage des terres et les systèmes alimentaires
Face à ce cercle vicieux, le secteur alimentaire doit se réinventer.
Nutrition, santé, emploi, climat, biodiversité… Les systèmes alimentaires sont au carrefour des grands défis de l’humanité. Ils constituent un élément absolument incontournable dans les trajectoires du développement durable. Fort d’une expertise de plusieurs décennies dans les pays tropicaux et méditerranéens, le Cirad plaide pour une transformation profonde des systèmes alimentaires. Il publie une note de positionnement qui identifie les cinq priorités qu’il se donne pour contribuer à ces transformations.
L’usage des terres et la gestion des sols, eux aussi, doivent être repensés.
Gouvernements et scientifiques ont jusqu’ici sous-estimé l’importance de l’usage des terres pour atténuer le changement climatique, selon une étude publiée le 13 décembre dans la revue Nature . Les auteurs proposent une nouvelle méthode pour évaluer la capacité d’une terre (sol et sa végétation) à atténuer les émissions de gaz à effet de serre, en fonction de son utilisation (forêt, pâturage, culture, élevage, etc). La méthode mesure également les impacts indirects d’un changement d’usage. Baptisée « Carbon Benefits Index », elle s’applique aussi bien à l’échelle du territoire que de la parcelle*.
Secteur forestier : un appel à une gouvernance mondiale
Puits de carbone essentiels, les forêts tropicales sont elles aussi menacées par les effets du changement climatique. Elles pourraient bientôt devenir, à leur tour, émettrices de carbone.
Les forêts tropicales sont confrontées à un avenir incertain en raison du changement climatique. Un nouvel article, publié dans Science le 21 mai, suggère que ces forêts pourraient continuer à constituer un réservoir majeur de carbone dans un monde plus chaud, à condition que les pays limitent leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de ne pas dépasser une température diurne de 32°C. Cette étude, coordonnée par l’Université de Leeds, a mobilisé une équipe internationale de 225 chercheurs, dont 4 du Cirad.
Ces forêts continuent, de plus, de subir les affres de la déforestation. Face à ce constat, un appel à une gouvernance forestière mondiale est lancé.
Dans une nouvelle étude publiée par l’Ifri, intitulée « Géopolitique des forêts du monde », Alain Karsenty du Cirad, présente un tour d’horizon complet des causes de la déforestation et des moyens pour inverser cette tendance mondiale. Il avance cinq recommandations pour une gouvernance mondiale des forêts pour la 15ème réunion de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15).
Ecoutez Alain Karsenty à propos des enjeux géopolitiques autour des forêts du monde, dans l'émission "Géopolitique, le débat" du 17 octobre sur RFI
Les sols, outils d’atténuation
Pour limiter le réchauffement climatique, la séquestration de carbone dans les sols a également un rôle important à jouer. Les modèles du GIEC intègrent ainsi le stockage de carbone et les émissions de gaz à effet de serre pour évaluer les changements de pratiques ou d’usages des sols. Or ces effets, dits biogéochimiques, ne sont pas les seuls à peser dans la balance climatique. L’albédo du sol, c’est-à-dire sa capacité à réfléchir ou à absorber le rayonnement solaire, conditionne la température de la surface terrestre.
Attention cependant à ne pas surestimer le bénéfice climatique de certaines pratiques agricoles. A titre d'exemple, les engrais azotés, essentiels à l’intensification agricole dans de nombreuses zones notamment en Afrique, peuvent être associés à des émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre.
Le bénéfice climatique de certaines pratiques agricoles stockant du carbone dans le sol pourrait être surestimé. En cause : les émissions associées de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre. Une équipe de recherche internationale a compilé des données pour dresser un bilan global. Ces résultats, publiés dans la revue Global Change Biology, soulignent la nécessité d’une gestion en parallèle de l’azote et du carbone dans les sols agricoles au regard des objectifs climatiques.
La biodiversité cultivée, une source de résilience et d’adaptation pour l’agriculture
Pour faire face à ces défis, plusieurs projets du Cirad misent sur la biodiversité. Alors que les cultures et plantations monospécifiques s’avèrent particulièrement fragiles face aux perturbations climatiques, la diversification et l’association d’espèces permettent d’assurer une productivité et une résilience des systèmes agricoles.
Voici quelques exemples du rôle de la biodiversité cultivée :
Des chercheurs de l’IRD, du Cirad et de l’ International Potato Center (CIP, Pérou) ont réalisé une analyse mondiale de la diversité intra spécifique de la patate douce, cinquième production agricole mondiale. Ils montrent le rôle de cette diversité génétique pour garantir la productivité et la résilience des systèmes alimentaires et agricoles face au changement climatique. Ces résultats sont publiés le 5 octobre dans la revue Nature Climate Change.
Le Cirad, INRAE, l’IRD et l’institut Agro ont inauguré ce mercredi 6 octobre à Montpellier - aux côtés des représentants de la Préfecture, la Région Occitanie et de Michaël Delafosse, président de Montpellier Méditerranée Métropole et maire de Montpellier - deux infrastructures vouées à jouer un rôle majeur dans l’adaptation des cultures aux changements climatiques. La première, un centre de ressources génétiques, Arcad, contribue à conserver la diversité végétale cultivée méditerranéenne et tropicale, essentielle à l’amélioration des plantes dans le cadre d’une transition agroécologique. La deuxième, une serre nommée AbioPhen, simule les climats de demain.
Productivité, stockage de carbone, adaptation au changement climatique. Les plantations forestières associant plusieurs espèces d’arbres peuvent être plus performantes que les plantations monospécifiques. À condition toutefois d’être bien gérées. Le projet MixForChange va explorer ce triple potentiel des forêts plantées mixtes et traduire les connaissances acquises en lignes directrices pour les gestionnaires forestiers. Ces avancées aiguilleront également les actions de reboisement qui sont de plus en plus nombreuses. MixForChange est coordonné par le Cirad et bénéficie du soutien financier de l'Union européenne et du Brésil via l'appel à projet Biodiversa. Démarrage prévu ce 1er février pour une durée de trois ans.
Accompagner les politiques publiques
Les scientifiques du Cirad participent enfin à l’évaluation de politiques agricoles d’adaptation ou de réduction des gaz à effet de serre. Ces résultats visent à améliorer l’efficacité des politiques publiques, à la fois en termes environnementaux et socio-économiques.
Le point avec Marie Hrabanski :
Répartir les efforts entre la production de biocarburants, une transition vers des régimes alimentaires moins carnés et la reforestation de pâture serait une bien meilleure option pour l’agriculture de demain que de miser uniquement sur une seule de ces stratégies. Cette combinaison permettrait d’allier à la fois des objectifs de sécurité alimentaire, de préservation de la biodiversité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, selon une étude publiée par le Cirad et ses partenaires dans Environmental Research Letters.