Science en action 9 avril 2024
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Incendies récurrents en Indonésie : briser le cercle vicieux
Il n’y a pas de fumées sans feu. Cet adage populaire prend une triste tournure en Indonésie, où des fumées très denses, causées par des méga-feux, obscurcissent l’atmosphère, causant émissions de dioxyde de carbone et de particules et menaçant la santé des populations. « Ce phénomène est récurrent en Indonésie (Sumatra et Bornéo), et les fumées se répandent sur des milliers de kilomètres, touchant la Malaisie et Singapour. Les pires années sont associées au phénomène climatique El Niño comme en 2015 » , précise Philippe Guizol, spécialiste des forêts au Cirad.
Ces feux ont pour origine des cultures sur brûlis, des défrichements, des pratiques de chasse, et des habitudes bien ancrées de nettoyage agricole par les flammes. A Sumatra, le Cirad montre que la majorité de ces feux est déclenchée par ces pratiques agricoles traditionnelles d’écobuage. Celles-ci ont des conséquences très différentes sur des terres minérales ou sur des tourbières, dans lesquelles les fumées sont plus denses et nocives.
Les feux sur tourbières dégradées à l’origine des fumées
« C’est la combustion de la tourbe qui est à l’origine de ces fumées très denses. Une fois en combustion, ces feux de tourbes sont quasiment impossibles à éteindre et ne s’arrêtent pas avant le retour de la saison des pluies, qui va faire remonter le niveau des nappes phréatiques, souvent jusqu’à l’inondation », explique Jean-Marc Roda, économiste au Cirad. Ces feux récurrents empêchent la forêt de se reconstituer, et cette dernière se dégrade inexorablement jusqu’au stade final de savane sur tourbière.
La majorité des feux démarrent ainsi dans des zones auparavant drainées pour l’agriculture et dans des zones broussailleuses où la déforestation a déjà détruit la forêt. Le feu se propage en surface par la tourbe du sous-sol aux forêts dégradées restantes. « C’est un cercle vicieux : l’écosystème dégradé favorise les feux, et les feux dégradent encore plus l’écosystème ! ».
10 % des feux enregistrés dans une seule préfecture de Sumatra représentent l’équivalent de deux années d'émissions de dioxyde de carbone françaises !
Outre les risques que présentent les fumées pour la santé, ces feux engendrent de nouvelles émissions de gaz à effet de serre dommageables pour le climat : « un hectare de tourbière qui brûle sur 30 cm d’épaisseur émet l’équivalent de 250 tonnes de CO2 ». Pourtant « si on réussissait à éviter ne serait-ce que 10 % des feux dans une seule préfecture de Sumatra*, on économiserait autant de CO2 que la quantité émise par la France en 1 ou 2 ans ! », précise Jean-Marc Roda.
Dans ces zones, les feux deviennent souvent incontrôlables du fait du manque de barrières naturelles, qui peuvent être des forêts denses humides conservées, des plantations agro-industrielles aménagées, des zones de tourbières aux niveaux d’eau maintenus ou des zones riveraines des cours d’eau, souvent densément peuplées en végétaux.
Valoriser les déchets agricoles pour éviter les feux
Si le gouvernement indonésien a mis en place des mesures pour prévenir le déclenchement des feux et mieux aménager les terres, les situations restent très contrastées d’une région à l’autre. A Central Kalimantan, l’émergence d’une synergie entre acteurs avec la création de revenus a amélioré la capacité du territoire à contrôler les feux. Au Sud Sumatra, l’immensité des zones de forêts dégradées et l’absence de revenus générés par la biomasse résiduelle nuisent aux synergies entre acteurs. Chaque année, pendant la saison sèche, la province est ainsi un des gros contributeurs aux incendies d’Indonésie.
Les résultats des enquêtes de terrain conduites par le Cirad avec ses partenaires locaux suggèrent pourtant que les petits paysans sont prêts à stopper ces pratiques d’écobuage si un débouché économique alternatif, même faible, leur est proposé. « Nos premiers résultats montrent qu’on peut réduire les feux, en développant des synergies business et biomasse dans une logique territoriale » , explique Jean-Marc Roda.
Il s’agit notamment de donner de la valeur à ce qui est aujourd’hui perçu comme un déchet agricole dont les paysans souhaitent se débarrasser. En effet, ces déchets ligno-cellulosiques peuvent être récoltés de façon rentable pour les populations et PME locales. « Ils peuvent par exemple rentrer dans la fabrication de matériaux composites simples, fournir de la bioénergie, ou encore alimenter une bioraffinerie », précise le chercheur. « Nous dressons actuellement une cartographie sociale et économique des zones où ce type économie circulaire vertueuse peut se développer ».
Promouvoir la restauration forestière à travers des « territoires verts »
Pour Plinio Sist, Directeur de l’unité Forêts et sociétés au Cirad, cette dimension économique de la « valeur » est essentielle. « Il nous faut imaginer avec les acteurs locaux des territoires verts capables de produire du bois et de la nourriture tout en réhabilitant ses forêts et écosystèmes fragiles ». Selon lui, les unités de gestion forestière mises en place récemment par le gouvernement indonésien constituent un cadre idéal pour promouvoir et développer de telles initiatives qui génèrent durablement des « territoires verts ».
« Les épisodes climatiques extrêmes comme El Niño en 2015 ou les sècheresses longues que nous subissons aujourd’hui en Asie du Sud-Est , complète Alain Rival, Directeur régional du Cirad en Indonésie, interrogent la résilience des plantations monospécifiques (palmier, hévéa ou eucalyptus) qui ont tout intérêt à évoluer vers des systèmes agroforestiers complexes ». Ces systèmes sont aptes à recycler la biomasse par compostage et à créer à terme des microclimats favorables au développement d’agroforêts denses, capables de freiner la propagation des incendies, et ainsi briser le cercle vicieux.
*étude réalisée sur la préfecture « Ogan Komering Ilir » au Sud Sumatra.