Science en action 4 mars 2024
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Quand les communautés rurales (ré)inventent la gestion des eaux souterraines
« Les eaux souterraines sont des ressources difficiles à gérer, car elles sont invisibles, souligne Marcel Kuper, chercheur en sciences de l’eau au Cirad. On ne s’aperçoit pas tout de suite de leur surexploitation. Contrôler qui y a accès représente également un vrai défi. Face à cette difficulté, plusieurs communautés rurales imaginent des systèmes de recharge des nappes, tout en s’imposant un ensemble de règles collectives. Et ça fonctionne. »
Se fixer collectivement des règles
Le projet T2GS* (Transformations pour une durabilité des eaux souterraines) étudie et évalue ces initiatives locales. Après un an et demi de travail de terrain auprès de communautés rurales en Inde, en Algérie, au Maroc, en Tanzanie, au Zimbabwe et au Pérou, les scientifiques dressent leurs premiers constats. Les solutions ne sont pas à trouver auprès de contrôles individuels des usages de l’eau, ni du côté de l’augmentation de l’offre en eau, mais dans des modes de gestion collectifs de la ressource.
« La surexploitation des eaux souterraines entraine deux problèmes majeurs, ajoute Marcel Kuper. D’une part, la raréfaction de la ressource fait monter les inégalités, puisque certaines personnes voient leur accès à l’eau se réduire. D’autre part, la dégradation des nappes met en danger leur usage par les futures générations. » L’objectif de T2GS est de mesurer la capacité de plusieurs initiatives à réduire la tension entre, d’une part les intérêts individuels et collectifs, et d’autre part, les gains à court terme et la durabilité à long terme.
De l’Inde à l’Algérie
Dans le village de Randullabad, en Inde, les populations ont ainsi mis en place des infrastructures de recharge de la nappe par infiltration d’eau de pluie. En parallèle, la communauté s’est fixé tout un panel de règles axé sur la sobriété de l’usage. À titre d’exemple, aucun forage individuel n’est toléré, seulement des puits partagés. Les priorités sont également définies collectivement, comme l’ascendance de l’eau domestique sur l’eau agricole : les puits fournissant l’eau potable ont donc été pensés plus profonds que ceux pour l’eau d’irrigation.
A Ghardaïa, en Algérie, des exploitants agricoles ont fait face à la raréfaction des eaux souterraines en remettant au goût du jour un système ancestral de recharge de la nappe et en axant également sur une sobriété de l’usage. Afin de maintenir une activité agricole compétitive, certains exploitants ont misé sur le bio et le circuit court, tandis que d’autres développent des cultures à haute valeur marchande, comme le safran.
Ces technologies qui se jouent de nos perceptions
Pour les membres du projet T2GS, les technologies, loin d’être de simples outils d’accès à la ressource, entretiennent certaines perceptions quant au rapport des individus à l’eau.
« Au Zimbabwe, nous étudions la différence entre les personnes qui utilisent des pompes électriques, et celles qui collectent l’eau via des pompes manuelles, décrit Marcel Kuper. Nous nous sommes aperçus que les pompes électriques, puisqu’elles sont puissantes et silencieuses, ne permettent pas de se rendre compte de la raréfaction de l’eau de la nappe. En revanche, les personnes qui utilisent les pompes à moteur diesel ou les pompes manuelles sentent vite la différence, puisqu’elles doivent pomper plus longtemps. »
Pour des accès à l’eau partagés
Au-delà de jouer sur la visibilité de la baisse du niveau des nappes, les technologies influencent également la mise en place de règles collectives. « Comment faire accepter des règles communes à des gens qui utilisent l’eau de manière individuelle ? », interroge Marcel Kuper. L’utilisation de forages individuels rend en effet particulièrement difficile l’acceptation de restrictions communes. Des puits partagés, en revanche, permettent à la fois de mieux jauger le niveau des nappes, tout en mettant l’accent sur l’importance du collectif et le partage d’une ressource rare.
Des savoirs locaux et scientifiques au même niveau
Un des paris de T2GS est d’effacer la frontière entre les savoirs scientifiques et ceux des populations locales et des artisans. Sans remettre en cause les connaissances scientifiques, T2GS entend les mettre en débat avec les savoirs locaux, dans un objectif d’enrichissement commun.
À Randullabad, des ONG et des scientifiques ont ainsi participé à identifier les zones les plus aptes à l’infiltration de l’eau de pluie, en synergie avec les connaissances de terrain des populations locales. À Ghardaïa, les infrastructures modernes de recharge de la nappe se sont inspirées d’anciennes infrastructures centenaires, imaginées par les communautés grâce à des années de pratique.
Au-delà de la pluralité des savoirs, les participants de T2GS mettent également l’accent sur l’importance de la transdisciplinarité dans la recherche. Si l’hydrologie est nécessaire pour travailler sur l’accès aux eaux souterraines, elle ne suffit jamais à imaginer des systèmes de gouvernance justes et durables.
* T2GS est financé par l'ANR, via le programme « Transformations pour la durabilité » du Belmont Forum et de Norface.
Référence
Margreet Zwarteveen, Marcel Kuper, Cristian Olmos-Herrera, Muna Dajani, Jeltsje Kemerink-Seyoum, Cleaver Frances, Linnea Beckett, Flora Lu, Seema Kulkarni, Himanshu Kulkarni, Uma Aslekar, Lowe Börjeson, Andres Verzijl, Carolina Dominguez Guzmán, Maria Teresa Oré, Irene Leonardelli, Lisa Bossenbroek, Hind Ftouhi, Tavengwa Chitata, Tarik Hartani, Amine Saidani, Michelaina Johnson, Aysha Peterson, Sneha Bhat, Sachin Bhopal, Zakaria Kadiri, Rucha Deshmukh, Dhaval Joshi, Hans Komakech, Kerstin Joseph, Ebrania Mlimbila and Chris De Bont. 2021. Transformations to groundwater sustainability: from individuals and pumps to communities and aquifers. Current Opinion in Environmental Sustainability