Comment limiter l’érosion du sol tout en améliorant sa biodiversité ? Cas d’une pratique agroécologique innovante en hévéaculture

08/04/2024
La restitution des résidus de culture combinée au semis d’une légumineuse limitent drastiquement l’érosion du sol, tout en améliorant la structure et la biodiversité du sol. C’est ce que vient de montrer une équipe de chercheurs en Côte d’Ivoire dans le cadre d’une étude conduite de 2018 à 2021. Alors que l’érosion des sols fait partie des 10 menaces majeures qui affectent les sols selon la FAO, ces résultats ouvrent la voie vers des pratiques agroécologiques innovantes pour augmenter la durabilité des plantations d’hévéas établies en pente.

Griffe d'érosion sous plantation d'hévéa - © T. Perron, Cirad

Ces résultats, inédits dans le milieu de l’hévéaculture, ont été publiés en février 2024 dans la revue Science of the Total Environment. Les travaux sont issus d’une collaboration entre des scientifiques et une société de plantations, associant le Cirad, l’IRD, l’université de Nangui Abrogoua à Abidjan, ainsi que la Société des Caoutchoucs de Grand Béréby (SOGB, groupe SOCFIN).

En 2023, la Côte d’Ivoire est le 4ème producteur mondial de caoutchouc naturel, matériau brut issu du latex des hévéas. Filière agricole majeure dans nombreux pays du Sud, l’hévéa se cultive sur un cycle de 25 à 40 ans avant d’être abattu puis replanté sur la même parcelle pour un nouveau cycle de culture.

La pratique courante entre 2 cycles de plantation est de brûler ou d’exporter les résidus de culture (les troncs, branches et souches) pour des raisons phytosanitaires et économiques par la revente du bois. Les résidus de culture contiennent une grande quantité de nutriments et de carbone, nécessaires au fonctionnement biologique et minéral du sol. La pratique de brûlis ou d’exportation est ainsi responsable en partie du déclin graduelle de la fertilité des sols hévéicoles au fur et à mesure des cycles de replantation. Avec la préoccupation croissante d’une gestion durable des sols, la mise en place de pratiques agroécologiques innovantes est devenue un enjeu majeur pour la production durable du caoutchouc naturel issu des hévéas.

Une suppression quasi-complète de l’érosion du sol grâce aux résidus d’abattage combinés à une légumineuse

Sur la plantation de la SOGB, située au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, quatre stratégies ont été testées dans une jeune plantation d’hévéas tout juste replantée :

  1. Aucune restitution de résidus de culture et aucun couvert de légumineuse
  2. Aucune restitution de résidus de culture et une légumineuse semée
  3. Une restitution de tous les résidus de culture et une légumineuse semée
  4. Une restitution double de résidus de culture et une légumineuse semée.

En utilisant des placettes de 1 m2 au sein des différentes parcelles, les chercheurs ont suivi pendant 3 ans le ruissellement et le détachement de sol. Les éléments minéraux contenus dans l’eau de ruissellement et le sol détaché ont été analysés afin de quantifier la perte de fertilité du sol selon les différentes stratégies. Les résultats montrent qu’à la fin du suivi, la première stratégie entraîne une érosion du sol extrêmement élevée. La stratégie n°2 permet une réduction de 88 % du ruissellement et de 98 % des pertes de sol par rapport à la stratégie n°1. Les stratégies n°3 et 4, avec résidus d’abattage et légumineuses combinés, aboutissent à une suppression quasi-totale de l’érosion. La restitution plus importante de résidus de culture dans la stratégie n°4 ne permet pas une meilleure protection contre l’érosion que la stratégie n°3. Au contraire, les pertes d’éléments minéraux dans l’eau de ruissellement et le sol détaché y sont plus élevées en raison d’une décomposition rapide de la matière organique.

Évolution du ruissellement d’eau selon les différentes stratégies pendant les 3 années de suivi (d’après Perron et al., 2024)

Les chercheurs ont montré des corrélations importantes entre l’érosion du sol, la biodiversité de la macrofaune et des indicateurs de structure du sol. Ces résultats suggèrent qu’une biodiversité du sol élevée permettrait une réduction de l’érosion via une amélioration de l’infiltration de l’eau et une meilleure stabilité des agrégats notamment.

Vers une transition agroécologique des plantations d’hévéas

Les résidus de culture rendent de nombreux autres services écosystémiques, en plus de limiter drastiquement l’érosion du sol, faisant de cette pratique une solution agroécologique appropriée dans les plantations d’hévéas. Les résultats du projet montrent ainsi que la restitution des résidus de culture augmente les stocks de carbone du sol, contribuant ainsi à réduire l’empreinte carbone de la filière hévéa. L’équipe de chercheurs étudie en parallèle la croissance des hévéas. La restitution des résidus permet d’accroître la circonférence des hévéas jusqu’à +30 % par rapport à l’absence de restitution dans des parcelles actuellement âgées de 5 ans. L’ensemble des résultats de ce projet permet d’avoir une vision holistique de l’effet des résidus de culture sur l’agroécosystème. Les scientifiques peuvent ainsi étudier les compromis possibles entre la restauration de la fertilité, la croissance des hévéas et la valorisation économique du bois d’hévéas liés à la restitution ou non. Les résultats similaires entre la stratégie n°3 et n°4 (double quantité de résidus), sur l’érosion du sol et nombreux autres paramètres, suggèrent qu’une partie des résidus d’abattage pourrait être exportée pour répondre à une demande croissante en bois et biomasse énergie à travers le monde.

Référence

Perron, T., Legrand, M., Janeau, J.-L., Manizan, A., Vierling, C., Kouakou, A., Brauman, A., Gay, F., Laclau, J.-P., Mareschal, L., 2024. Runoff and soil loss are drastically decreased in a rubber plantation combining the spreading of logging residues with a legume cover. Science of The Total Environment 913, 169335

Le projet FERTIM : améliorer la fertilité des plantations d'hévéas pendant leur phase immature (2015-2021) - Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet FERTIM, financé par l’Institut Français du Caoutchouc, les sociétés Michelin, SIPH et SOCFIN. Ensemble, le Cirad, l’IRD, l’université Clermont Auvergne, l’université de Nangui Abrogoua à Abidjan (Côte d’Ivoire) et les financeurs du projet développent et testent de nouveaux outils et pratiques pour améliorer la compréhension du fonctionnement biologique et minéral des plantations immatures d’hévéas. Plusieurs techniques s’inscrivant dans une démarche agroécologique sont à l’essai, en particulier la fertilisation organique par l’introduction d’une plante de couverture et la restitution des résidus d’abattage. La possibilité de substituer tout ou partie des engrais chimiques par des résidus d’abattage améliorerait grandement la durabilité des plantations d’hévéas. L’ensemble des données récoltées par le projet participe à l’élaboration d’un outil d’aide au pilotage de la fertilisation des plantations immatures d’hévéas, qui permettra à terme un apport raisonné d’engrais chimiques.