Covid-19 & Sécurité alimentaire | A Madagascar, le lait ne s’écoule plus

Regard d'expert 28 mai 2020
Dans les pays du Sud, certaines filières agricoles ressentent davantage que d’autres les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. C’est le cas de la filière laitière à Madagascar. Fortement dépendante de la fluidité des transports et de la demande, les producteurs de la filière et les laiteries malgaches sont en difficulté. Une analyse par un groupe de chercheurs du Cirad en poste sur l’île avec leurs partenaires malgaches du Fifamanor. Cet article est le sixième d’une série consacrée aux impacts du Covid-19 sur la sécurité alimentaire de plusieurs pays tropicaux.
A Betafo, les pré-collecteurs ou les éleveurs apportent leur lait quotidiennement à pied, en charrette, en vélo ou en moto malgré des routes souvent dégradées en saison des pluies risquant à tout moment de perdre leur livraison. © M. Vigne, Cirad

Dans le « triangle laitier », sur le plateau d’altitude situé au centre de Madagascar, environ 60 000 exploitations agricoles produisent du lait. De très petites tailles, avec seulement une à deux vaches laitières, elles sont la source majeure d’approvisionnement de deux des plus grandes villes du pays : Antsirabe et Antananarivo, la capitale, à une centaine de kilomètres plus au Nord. Sur les 100 millions de litres produits par an, consommés frais ou en produits dérivés, 10 % sont acheminés et vendus à Antsirabe et 50 % vers Antananarivo, grâce à plus de 20 000 opérateurs économiques : collecteurs, transformateurs et petits commerçants.

Afin d’améliorer les volumes de lait produit, les éleveurs les plus aisés ont de plus en plus recours à l’amélioration génétique (principalement Pie Rouge Norvégienne et Holstein) via l’insémination artificielle ou les stations de monte. Photo : Vaches laitières de races croisées, dans une exploitation périurbaine d’Antsirabe. © M. Vigne, Cirad

Le confinement en pleine période de production : un choc pour les producteurs et les laiteries

Plus de deux mois après le début de l’épidémie, le pays affiche plus de 600 cas de contamination par le coronavirus et seulement 2 décès. Les mesures de confinement partiel et de restriction des transports des personnes sont maintenues, et la plupart des activités économiques sont à l’arrêt. Le confinement a démarré en pleine période de forte production laitière. Un choc pour les laiteries, en particulier celles de tailles petites et moyennes et pour les producteurs qui brutalement n’ont plus eu de débouchés.

En temps normal, de grandes quantités de produits, et notamment de lait frais, sont acheminés par les producteurs ou des petits collecteurs en transports en commun et taxis collectifs. Mais la capitale est confinée et les transports fonctionnent a minima, rendant plus difficile l’approvisionnement en produits frais.

Mais surtout, la demande urbaine en lait et en produits laitiers s’est effondrée. Les nombreux restaurants ont fermé, les marchés, épiceries et supermarchés n’ouvrent que quelques heures par jour. Les petits transformateurs ont réduit leurs activités. Et une large partie de la population urbaine, faute de pouvoir aller travailler, a perdu son pouvoir d’achat. Les dépenses se concentrent sur les produits de première nécessité. Lait, yaourts et fromages restent invendus.

 

Le fromage, de fabrication artisanale, vendu en bord de rue est le moins coûteux à Madagascar. Ici, à Antsirabe, la capitale. © Lalatiana Christian ANDRIANARISATA

Les plupart des laiteries sont à l'arrêt, toutes sont touchées

Cette diminution de la demande pour ces produits, en grande partie périssables, s’est répercutée sur les collecteurs, et sur un nombre encore plus grand de producteurs. Ceux-ci, contraints de vendre à moindre prix ou dans l’impossibilité de vendre, ont perdu une part de leurs revenus monétaires. Une minorité d’entre eux a transformé le lait en yaourts par leurs propres moyens, pour tenter de le vendre dans le voisinage ou la ville à proximité. Mais la plupart, non équipés, ont consommé le lait non vendu, l’ont donné à leur entourage, ou aux animaux (veaux et porcs). De nombreuses laiteries ont été contraintes d’arrêter leurs activités.

Les quelques laiteries industrielles, qui traitent moins de 10% du lait produit, ont, quant à elles, pu continuer à s’approvisionner. Disposant de leur propre réseau de collecteurs, centres de collecte de moyens de transports, elles ont été peu affectées par les restrictions de déplacement. Au contraire, en pleine période de pic de production, elles se sont vu proposer de plus grande quantité de lait par les producteurs ayant perdu leurs débouchés habituels. Mais toutes ont néanmoins été affectées par la baisse de la demande. Beaucoup ont stoppé la collecte pendant quelques jours à plusieurs semaines et limité les quantités en mettant en place des quotas, en relevant leurs exigences de qualité et en baissant leur prix d’achat.

Une capacité de résilience à prendre en compte dans les politiques de développement

Pour l’heure, la crise n’a pas été suffisamment longue pour contraindre certains à déposer le bilan ou d'autres à décapitaliser en vendant leurs animaux ou leurs outils de production. Reste à savoir quelle sera la durée de la crise et quand la consommation urbaine redémarrera pour en mesurer les effets.

Mais les acteurs de cette filière sont capables de rebondir. L’expérience des précédentes crises, en 2001 ou en 2009, le montre. Leur résilience provient de la diversification des systèmes de production des exploitations agricoles : cultures vivrières, ou de céréales, légumineuses, fruits et légumes commercialisés et activités non agricoles. Nombre de transformateurs sont capables de fabriquer plusieurs types de produits (yaourts, fromage, etc.). Les divers petits opérateurs de la filière, collecteurs et commerçants, ont eux aussi des activités diversifiées (agriculture, service, etc.). Ces atouts s’inscrivent à contre-courant d’une dynamique de spécialisation et d’industrialisation. Ils constituent pourtant des clés pour traverser les crises et chocs récurrents. Ils méritent certainement une plus grande prise en compte dans les politiques de développement.

Les auteurs de ce texte sont : Sarah Audouin, Jean-François Bélières, Perrine Burnod, Hélène David-Benz, Mathieu Vigne du Cirad et Willy Rakotomalala et Lovaniaina Rakotomalala du Fifamanor.