Collecter les urines pour rendre les systèmes urbains des villes subsahariennes plus durables

Résultats & impact 11 mai 2023
La mise en place de dispositifs de collecte des urines dans les villes subsahariennes permettrait de rendre ces ensembles urbains plus durables. C’est ce que démontre une étude, menée par quatre chercheurs issus de l’IRD, du Cirad, de l’Université Boubakar Bâ de Tillaberi (Niger) et de l’Université Joseph Ki-Zerbo (Ouagadougou), publiée le 3 mai 2023 dans Regional Environmental Change. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont analysé les flux d'azote contenus dans les déchets de deux villes subsahariennes : Maradi (Niger) et Ouagadougou (Burkina Faso). Cette étude est une première et permet de montrer que l’urine constitue la principale voie de perte d’azote. Les initiatives pour la collecter pourraient fournir un engrais précieux, adapté aux exigences et contraintes agricoles locales, et contribueraient ainsi à rendre le système urbain plus durable.
© T. Wassenaar, Cirad
© T. Wassenaar, Cirad

Une étude récente montre que l'urine est la principale voie de perte d'azote dans les villes de l'Afrique subsaharienne et pourrait conduire à des effets d'eutrophisation des milieux, comme ici ce plan d'eau couvert de jacinthes d'eau © T. Wassenaar, Cirad

Les trajectoires de développement urbain en Afrique subsaharienne ne sont pas viables. Les villes à croissance rapide constituent des puits de nutriments et s'appuient sur des arrière-pays qui, eux, en sont démunis. Ces puits, ainsi que leur dégradation et drainage dans les arrière-pays, ont des conséquences sur l’environnement et la santé. Ils conduisent à des appels au changement. L'objectif de développement durable des Nations unies vise notamment à "rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables".

Afin de donner aux autorités une vision intersectorielle de l'état des puits de nutriments d'une ville, les chercheurs ont collecté et analysé différents flux de déchets. Leur approche distingue quatre niveaux spatiaux imbriqués, articulés à partir du noyau central : la zone urbaine, le potentiel système de recyclage territorial, le pays et le niveau international. A partir de cette analyse, les chercheurs se sont concentrés sur l'origine et le devenir de ces flux de déchets, contenant des nutriments. Cette méthode a été appliquée pour l'azote à Maradi et à Ouagadougou pour déterminer si et dans quelle mesure, ces villes-régions peuvent évoluer vers des systèmes alimentaires urbains durables. Le fait de se concentrer sur l'azote contenu dans les déchets plutôt que sur les flux de déchets eux-mêmes permet une compréhension systémique, utile pour les autorités locales.

L’étude révèle que Maradi est un puits d'azote, bien que située au cœur d’un système alimentaire urbain encore assez durable. Cette ville pourrait bien évoluer vers une situation similaire à celle de Ouagadougou : un grand puits d'azote sans recyclage significatif dans l'arrière-pays de la ville. Alors qu’elles sont de taille différente, 400 000 habitants à Maradi et 2 800 000 habitants, ces deux villes évoluent dans des contextes biophysiques, climatiques, agricoles et socio-économiques très similaires. Leurs résultats respectifs peuvent donc être considérés comme une illustration approximative d'une trajectoire de développement. 

Cette étude fournit la première vue d'ensemble des flux d'azote contenus dans les déchets de deux villes subsahariennes. Les rapports existants n'ont fourni jusqu'à présent que des évaluations sectorielles partielles, axées soit sur la gestion des déchets, soit sur l'assainissement, soit sur l'agriculture. La présente étude montre que les pertes d'azote dues à l'assainissement et à la gestion des déchets dépassent largement les autres flux d'azote contenus dans les déchets de ces villes. L'urine constitue ainsi la principale voie de perte d'azote. Mettre en place des systèmes pour la collecter et l’utiliser ensuite comme engrais permettrait de rendre le système urbain plus autonome et résilient. Cela améliorerait l'approvisionnement alimentaire régional et réduirait la pollution des eaux urbaines induite par l'assainissement, et contribuerait donc à la durabilité du système urbain. Pour donner une suite pertinente à cette étude, les chercheurs affirment qu’il serait intéressant d’explorer le potentiel de recyclage de l'urine. 

Référence

T. Wassenaar, B.S. Bodo, A. Hilou, E. Rochelle-Newall
The nutrient metabolism of growing sub-Saharan cities and their prospect for shifting from regional sinks to sustainable city-region food systems, Regional Environmental Change, 3 mai 2023.