La certification participative, avenir de l’agriculture biologique et locale en Afrique ?
Science en action16 mai 2023
Face à des référentiels de l’agriculture biologique lacunaires voire inexistants sur le continent africain, les systèmes participatifs de garantie sont pionniers dans le développement de normes agroécologiques ambitieuses. Le Cirad les accompagne, via la facilitation de rencontres, de formations ou la co-construction d’outils méthodologiques. Retour sur cette innovation organisationnelle en plein essor.
Alternative à la certification par tierce partie, les systèmes participatifs de garantie (SPG) sont, en Afrique, les seuls moyens de labelliser une agriculture durable destinée aux marchés locaux et régionaux. En effet, le coût prohibitif et la documentation requise pour accéder aux référentiels européens de type Agriculture biologie (AB) écartent, de facto, la majorité des producteurs du continent. Après la création du premier SPG africain en 2005 en Afrique du Sud, les années 2010 ont connu une accélération de la dynamique. Si bien qu’aujourd’hui, 50 sont opérationnels ou en passe de l’être, regroupant près de 10 000 agriculteurs sur 34 000 hectares de terre.
Participative et non marchande, la certification par système participatif de garantie repose sur l’évaluation par les pairs. En favorisant la mise en réseau des acteurs concernés au sein de territoires agricoles, elle s'inscrit dans une démarche de progrès. Focus sur cette dynamique soutenue par le Cirad et qui fait des émules jusque dans le secteur de la construction ou de l’énergie.
Une demande croissante en bio
Terreau de ce mouvement de fond : une demande croissante en produits sains face à un vide juridique sur l’agriculture biologique. « À travers les initiatives de vente directe de type AMAP ou marchés paysans, on voit, notamment dans les villes, que les consommateurs plébiscitent les produits durables, expose Sylvaine Lemeilleur, économiste au Cirad. Or, la certification n’y est pas encadrée par la loi. Ce sont les SPG, à travers leurs normes associatives, qui portent majoritairement le développement du bio ».
Un réseau informel regroupait déjà, via une messagerie instantanée, des membres de SPG africains. Mais faute de moyens, ses membres n’avaient jamais pu se rassembler. C’est chose faite avec la tenue de la première rencontre régionale des SPG d’Afrique de l’Ouest et centrale en février dernier. Cette rencontre a été organisée en Côte d’Ivoire par le Cirad, avec l’appui de l'ONG Nitidae, des projets Pretag et Marigo et accueilli par l’École supérieure d'agronomie INPHB.
Des producteurs hyper impliqués
« Pendant les trois journées d’échanges, très attendues, les participants n’ont pas décroché une seule minute » apprécie la chercheuse, qui a facilité les ateliers, grâce aux méthodes participatives développées par le Cirad. Un enthousiasme partagé par les représentants de 13 SPG (actifs ou en cours de création), « des militants, leaders de l’agroécologie dans leur pays ». À l’issue de la rencontre – qu’ils espèrent renouveler tous les deux ans - une déclaration commune a été faite.
Principal constat fait lors de ces échanges : les SPG peinent encore à avoir une organisation horizontale et à compter sur la participation de tous les pairs, pourtant au cœur de leur raison d’être. Pour accompagner les SPG face à ce type de défis, le Cirad a mené plusieurs initiatives depuis 2019.
Accompagner l’essor de la certification participative
Dans le cadre du projet IIABA, il a notamment aidé le Réseau des initiatives agroécologiques au Maroc à créer son SPG et contribué au développement d’une application pour optimiser l’organisation des visites de certification (voir encadré).
Le projet Marigo, coordonné par le Cirad en partenariat avec l’ONG Nitidae, a vu la construction de la charte et du cahier des charges du premier SPG ivoirien. Même chose du côté du Congo, où le centre participe au projet d’appui à la relance du secteur agricole (PARSA).
Les projets Territoires durables et Compairs ont permis le développement de plusieurs guides méthodologiques. Par ailleurs, des formations alliant apports théoriques et visites de terrain sont régulièrement organisées, à l’instar du voyage d’études au Cameroun, qui devrait réunir à nouveau des SPG africains, d’ici la fin de l’année. « Ces SPG ont des marchés locaux peu rémunérateurs ainsi qu’une forte dépendance aux financements des ONG internationales, analyse Sylvaine Lemeilleur. Mais pour la première fois lors des rencontres, ils ont exploré une stratégie pour devenir autonomes dans les cinq ans ». Partage de bonnes pratiques, reconnaissance mutuelle des SPG entre pays d’une même région : autant de raisons d’être optimistes quant à l’avenir de ces initiatives de certification participative sur le continent.
DICOOP, l’appli coup de pouce à la certification participative
Disponibilité et compétences attendues des évaluateurs, distance acceptable à parcourir, non-réciprocité dans l’évaluation, roulement pour maximiser les échanges de connaissances et réduire les risques d’ententes tacites… Les règles d’organisation des visites de certification relèvent souvent du casse-tête chez les SPG. C’est donc à la demande du Réseau des initiatives agroécologiques au Maroc (RIAM), un SPG en croissance confronté à ce problème complexe, qu’a été créée l’application DICOOP (DIstribuer les évaluateurs dans une CertificatiOn Organisée par les Pairs). Pensée dans le cadre d’une collaboration entre différents chercheurs - dont Sylvaine Lemeilleur et Nicolas Paget du Cirad - elle offre une solution rapide et efficace aux membres des SPG, pour optimiser tant la logistique que l’apprentissage, lors des visites. Au-delà de cet usage pratique, c’est un outil de réflexion à même de nourrir les débats au sein des SPG. Doit-on avoir la même activité que la personne chez qui on réalise la visite d’évaluation ? Comment prévenir le burn-out bénévole ou limiter le phénomène du passager clandestin ? Face à l’intérêt manifesté par plusieurs SPG africains, l’application, utilisée aujourd’hui essentiellement par le RIAM et deux SPG français (Nature & Progrès et Flor de Pèira) pourrait bien s’étendre.