Résultats & impact 2 avril 2024
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Un effort massif de cartographie de la biodiversité végétale de la planète
A moins d’un mois d’intervalle, Nature Ecology & Evolution et Nature Communications ont publié deux cartographies mondiales de la biodiversité des arbres et des végétaux, vue sous des angles différents. Par leur ampleur et leur effort d’inventaire jusqu’ici inégalé, ces deux études complémentaires serviront de nouvelles références aux futures politiques de conservation.
Le Cirad a participé à ces travaux avec ses partenaires d’Afrique et d’Amazonie en mettant à disposition des données issues des parcelles d’inventaires en zones tropicales. Les scientifiques ont par ailleurs pu offrir leur expertise sur la mesure de la biodiversité et interpréter les résultats originaux obtenus pour la zone inter-tropicale.
Forêts tropicales : leur richesse ne s’explique pas que par le climat
Dans cette étude pilotée par la Global Forest Biodiversity Initiative, 249 scientifiques de plus de 50 pays ont analysé la biodiversité de 55 millions arbres sur 1,3 million de parcelles à travers le monde. Publiés en août dans Nature Ecology & Evolution, les résultats couvrent 97 % de la surface forestière mondiale et offrent un niveau de détail inégalé pour comprendre les variations géographiques de la biodiversité locale des arbres.
La richesse locale en espèces, soit le nombre d’espèces qui cohabitent sur une surface d’un hectare, est une mesure clé de la biodiversité. Les forêts proches de l’équateur comptabilisent en moyenne 98 espèces d’arbres. Ce chiffre diminue graduellement pour se stabiliser à quatre espèces par hectare à 50 degrés de latitude Nord ou Sud. Selon l’étude, les forêts tropicales les plus diversifiées se trouvent en Amazonie, avec parfois plus de 200 espèces d’arbres par hectare. Le pendant pour les forêts tempérées se situent dans les forêts du centre-sud du Chili, avec 50 espèces à l’hectare.
Au-delà de cet inventaire, l’étude détaille les moteurs à l’origine de la richesse observée. Si les modèles de biodiversité privilégiaient jusqu’alors la température et les précipitations, ces nouveaux travaux démontrent qu’il existe d’autres facteurs pour expliquer la variabilité de la biodiversité dans les zones tropicales. Le relief, la nature du sol et, désormais, l’impact des activités humaines constituent des variables toutes aussi co-limitantes que le climat.
Cartographier la biodiversité végétale à toutes les échelles
L’effet de la taille de la zone observée sur le niveau de biodiversité est primordial à prendre en compte pour cartographier la biodiversité de la planète, selon cette seconde étude dirigée par l’université Martin Luther University Halle-Wittenberg et le Centre allemand de recherche intégrative sur la biodiversité Halle-Jena-Leipzig. Les auteurs de la publication, parue en septembre dans Nature Communications, ont ainsi analysé 170 000 relevés de végétation en provenance de toutes les zones climatiques de la Terre, en mobilisant la base de données sPlot.
La grande majorité des études sur la biodiversité mondiale sont menées à grande échelle, sur celle d’un Etat ou d’une région. En réduisant la taille des surfaces observées, pourtant, les scientifiques ont découvert que certaines différences notables de niveau de diversité entre zones tropicales et zones tempérées tendaient à disparaître. Si bien que, à très petite échelle, les steppes d’Europe de l’Est en Sibérie et des pays alpins d’Europe présentent un niveau de biodiversité végétale similaire à la forêt amazonienne.
Ces trouvailles remettent en question plusieurs idées préconçues, par exemple sur la végétation des écosystèmes d’Afrique de l’Ouest, jugée pauvre en diversité pour une zone tropicale. L’étude montre cependant que les espèces ouest-africaines sont distribuées sur de très grandes distances, et de fait n’apparaissent pas forcément dans les mesures effectuées sur une petite zone d’échantillonnage. Pour mieux appréhender la biodiversité de l’Afrique de l’Ouest, les scientifiques préconisent donc d’inventorier de nombreuses petites parcelles.
Nouvelles références pour les politiques de conservation
Ces cartographies sont des premières mondiales et aboutissent à des recommandations pour les futures politiques de conservation. D’une part, sous les tropiques, les politiques publiques devront prendre en compte la multiplicité des facteurs co-limitants pour la biodiversité, dont les activités humaines. Ensuite, les politiques de conservation devraient intégrer la variabilité de la distribution spatiale des espèces végétales pour être efficaces.
« En Afrique de l’Ouest où les gradients environnementaux sont très forts et rapides, les efforts de conservation, pour la flore, seront plus efficaces s’ils sont ciblés sur de multiples zones de taille moyenne et aux caractéristiques bioclimatiques différentes, plutôt que sur quelques zones de très grande taille », plaide Bruno Hérault, spécialiste des forêts tropicales au Cirad et co-auteur des deux publications.
Des efforts d’inventaire sans précédent en Côte d’Ivoire
Le travail en réseau, à l’international, de plusieurs centaines de scientifiques spécialistes de la végétation des différentes zones de la planète a rendu ces travaux possibles. Le Cirad y a participé grâce à son travail de terrain en partenariat. En Côte d’Ivoire, un effort d’inventaire très important a été effectué ces dernières années avec plusieurs centaines de parcelles permanentes installées en forêt naturelle ou de production, en plantations, en systèmes agroforestiers ou en forêts secondaires. « Ce travail d’inventaire a été mené conjointement avec, notamment, nos partenaires de l’INPHB et de l’UFHB. Par ailleurs, ces travaux de recherche collaborative ont permis aux doctorants et collègues ivoiriens impliqués de partager leurs points de vue et leurs expertises de terrain pour interpréter les résultats préliminaires tout en intégrant de façon pérenne ces réseaux internationaux » commente Bruno Hérault.
Malgré ces efforts sans précédent pour inventorier et expliquer la biodiversité végétale au niveau mondial, il reste de grandes incertitudes sous les tropiques. Bruno Hérault commente : « Les connaissances y sont encore très fragiles. Il faut poursuivre ces travaux d’inventaires, inestimables pour la mise en place de politiques de préservation de la biodiversité ».
Références
Liang, J., Gamarra, J.G.P., Picard, N. et al. 2022. Co-limitation towards lower latitudes shapes global forest diversity gradients. Nature Ecology & Evolution
Sabatini F. M. et al. 2022. Global patterns of vascular plant alpha diversity. Nature Communications